« Serviettes et tampons devraient être remboursés par la Sécu » : timides avancées face à la précarité menstruelle
Alors que leurs prix augmentent, des millions de personnes ne peuvent pas accéder à des protections périodiques en quantité et en qualité suffisantes. En France et ailleurs, quelques mesures sont prises, mais les réelles avancées se font attendre.

Un dinosaure, un volcan, des haricots rouges, des patins à roulettes … Sur nos téléphones, on trouve des icônes pour représenter beaucoup de choses. Mais rien pour les menstruations. Cela ne surprend pas Maud Leblon, directrice de l’association Règles élémentaires. « Le sujet des règles est encore tabou », déplore-t-elle.

L’association a donc lancé une campagne pour une émoticône fidèle pour montrer les règles : une culotte blanche tachée de rouge à l’entrejambe. Un moyen facile et pédagogique de soulever un problème plus large, celui du manque de connaissance et de politiques publiques contre ce qu’on appelle la précarité menstruelle.

Une femme sur cinq s’est déjà retrouvée à choisir entre de la nourriture ou un paquet de serviettes hygiéniques

En moyenne, on doit débourser dans sa vie environ 2000 euros, juste pour acheter des protections périodiques [1]. Il s’agit de dépenses incontournables. « On estime que deux millions de personnes sont touchées chaque mois en France par la précarité menstruelle », souligne Maud Leblon. La récente et forte augmentation des prix risque d’empirer encore la situation.

Choisir entre manger ou acheter des protections

L’association Règles élémentaires observe une hausse des appels à l’aide. « On n’a jamais été aussi sollicitées pour mettre à disposition des protections et pour éduquer sur les règles, constate Maud Leblon. Il n’y a pas d’études, pas de chiffres. Probablement que la précarité menstruelle prend de l’importance, mais il y a aussi plus de personnes qui nous contactent, car on parle de plus en plus du problème, et elles ne verbalisaient pas leur situation avant. »

La précarité menstruelle, telle que prise en compte par Règles élémentaires, comprend non seulement les personnes en incapacité d’acheter des protections, mais aussi celles qui doivent arbitrer entre en acheter et se priver d’autres produits de première nécessité. Une femme sur cinq s’est déjà retrouvée à choisir entre de la nourriture ou un paquet de serviettes hygiéniques, selon une étude Ifop de 2021. Cette même année, à l’autre bout du globe, la Première ministre néo-zélandaise, Jacinda Ardern, annonçait que des protections seraient accessibles dans les lieux d’étude du pays. À Séoul aussi, capitale sud-coréenne, les protections périodiques sont accessibles dans les lycées. Mais ces mesures ne sont destinées qu’à un public particulier.

Une loi qui rend gratuites les protections menstruelles

Le gouvernement écossais est pour l’instant le seul à avoir mis en place une politique d’ampleur contre la précarité menstruelle. Une loi est entrée en vigueur en Écosse le 15 août dernier. Elle met à disposition des protections périodiques gratuites pour toute la population, dans des points de distribution localisables par une application dédiée. Les établissements scolaires, universitaires et collectivités locales sont dans l’obligation de fournir ces protections.

Pour la chercheuse Claire Breniaux, spécialiste de la vie politique écossaise, cette avancée unique est le fruit d’une politique volontariste en faveur des plus défavorisés. « En plus de l’indépendance, la justice sociale est le cheval de bataille du Parti national écossais, explique l’enseignante de l’université de Bourgogne-Franche-Comté. Ce parti à la tête du gouvernement se veut résolument progressiste. La Première ministre Nicola Sturgeon (du Parti national écossais, ndlr) veut faire de l’Écosse une nation socialement juste et égalitaire. » La loi, portée par la députée travailliste Monica Lennon, a fait consensus au parlement . « Les menstruations sont normales. L’accès universel et gratuit aux tampons, serviettes et options réutilisables devrait l’être aussi », avait justifié la députée pour appuyer sa proposition.

« Accéder à des serviettes ou tampons à l’hôpital » est encore difficile

En France, l’accès gratuit à ces produits ne concerne que quelques lieux. Depuis 2020, les détenues peuvent par exemple avoir accès à des protections périodiques. « Elles n’avaient rien avant cela ! Parce qu’on n’en parle jamais, tout le monde oublie que les femmes peuvent avoir leurs règles, note Maud Leblon. C’est encore un problème aujourd’hui d’accéder à des serviettes ou tampons à l’hôpital, par exemple », souffle la directrice de l’association de lutte contre la précarité menstruelle.

« Ce qui pourrait être fait, c’est que les protections soient remboursées par la Sécurité sociale »

Le gouvernement français avait annoncé pour 2021 une enveloppe exceptionnelle de cinq millions d’euros pour « renforcer le combat mené par les associations pour l’accès de toutes les femmes aux protections périodiques, en ciblant notamment les femmes incarcérées ainsi que les femmes en situation de précarité et de très grande précarité ». La charge de la distribution, de la collecte et du soutien reste donc du ressort des associations.

En France, la question prend de l’importance dans le débat public, grâce au travail de ces associations. « Au niveau local, il y a beaucoup d’expérimentations. Dans les villes, les départements, les régions … à toutes les échelles, mais pas au niveau national », constate Maud Leblon. La région Île-de-France a ainsi lancé en 2020 une expérimentation dans plusieurs lycées avec des distributeurs de protections périodiques en libre-service.

Depuis la rentrée 2021, de tels distributeurs sont aussi installés dans les Crous (centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires) et centres de santé universitaires. « Nous avons constaté que l’application de cette mesure était assez variable. Il y a des situations où les distributeurs ont été installés, mais où il n’y a pas de protections disponibles tout le temps », nuance Lina, secrétaire fédérale chez Solidaires étudiant.e.s. La syndicaliste étudiante salue « un pas dans la bonne direction, mais sans crier victoire. Les solutions comme ça peuvent dépanner, mais ce n’est pas suffisant pour faire face au problème de précarité étudiante. »

Les protections pourraient être remboursées par la Sécu

En Écosse, en France, en Nouvelle-Zélande ou partout ailleurs, la distribution, bien qu’étant une avancée, n’est pas forcément la meilleure solution. « La logique de mise à disposition a ses limites, souligne la directrice de Règles élémentaires. Tout le monde n’a pas les mêmes besoins ni les mêmes préférences en termes de protections périodiques. » Lina, syndicaliste de Solidaires étudiant.e.s, avance : « Ce qui pourrait être fait, c’est que les protections soient remboursées par la Sécurité sociale. On pense que ça pourrait vraiment régler le problème. »

Le risque est aussi de penser qu’une fois les serviettes, tampons et autres protections à disposition, le « problème » des règles sera résolu. « C’est la partie émergée de l’iceberg », objecte Maud Leblon. Se pose par exemple la question de la qualité des produits distribués ou achetés. Il est encore difficile d’évaluer aujourd’hui leur toxicité, ou ses conséquences pour les personnes qui les utilisent.

Un décret devrait entrer en vigueur en 2023 pour obliger les fabricants à donner le détail des produits utilisés. Pour l’instant, ils n’ont aucune obligation de transparence. Et les études à ce sujet manquent – comme sur le syndrome prémenstruel, la ménopause, et les règles en général.

Entre l’absence de recherches scientifiques, la mésinformation du public, la honte, et les douleurs… le chemin pour une prise en charge et une connaissance réelle des règles est encore long. « Déjà, posons-nous, réfléchissons à l’impact concret des règles dans la vie », propose la militante associative Maud Leblon. Mais, surtout : « Laissons parler les personnes concernées. »

Par Emma Bougerol (publié le 02/11/2022)
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