Apiculteur depuis 20 ans, Pierre Stephan témoigne : “Mes abeilles n'ont jamais produit autant de miel”
Chaque fois que Pierre Stephan ouvre ses ruches, il découvre des butineuses vigoureuses, en pleine action. "J'ai dû rajouter des hausses récemment, tellement elles produisent". Nous ne sommes pourtant qu'en début de saison et la production est déjà exceptionnelle selon l'apiculteur bio, installé dans les Vosges du Nord, à Lichtenberg. "En l’espace de trois jours, j'ai eu des rentrées de nectar exceptionnelles. Autour de 4 kilos par jour. Dans le sapin, où les miellées sont intenses, c'est habituel, mais en début d’année, un tel volume tous les jours... je n’ai jamais vu ça, en 20 ans de métier". Pierre voit deux raisons à ce phénomène.

Moins d'activités humaines créent des conditions favorables pour les abeilles

En ce début de saison, les butineuses rapportent le nectar des fleurs de pissenlit, d'aubépine et des arbres fruitiers. Le tout dans un calme exceptionnel, auquel ni elles, ni l'apiculteur n'étaient habitués. L'activité forestière est suspendue, les tronçonneuses des bûcherons sont muettes, les promeneurs et les touristes sont confinés chez eux. Il n'y a plus de circulation d'aucune sorte, ni sur les sentiers, ni sur les pistes cyclables.

L'agriculture, elle aussi, tourne au ralenti. Les paysans n'ont pas encore fauché les prairies comme les autres années, les traitements agricoles sont moins nombreux. Tout est calme et moins pollué, les abeilles peuvent butiner sans être dérangées. Deuxième raison, et non des moindres, la météo favorable, se réjouit l'apiculteur :"L'an dernier, on avait un printemps long et froid, des pluies et du gel, puis il a fait trop chaud très vite et il y a eu la sécheresse. Cette année on a du soleil, de bonnes températures... Si on avait un tout petit peu plus de pluie, ce serait idéal."

"Cette année, c'est comme une renaissance"

Depuis plusieurs années, on entend beaucoup parler des abeilles qui meurent. Les principales causes sont connues : cocktails de pesticides, insecticides et fongicides, servis dans les cultures, mais aussi manque de nourriture au printemps et en automne. « L’an dernier, j’étais découragé au point où je pensais m’arrêter" confie Pierre Stephan, au milieu de ses ruches. "Cette année, c’est comme une renaissance, il y a des fleurs partout et c'est calme comme jamais". Pour l'apiculteur, le moment semble de toute évidence, incroyable. "C'est le grand écart avec les dernières années, ce printemps, il y a des fleurs partout".

Habituellement, cet apiculteur professionnel produit six tonnes de miel par an. Cette année, si tout continue bien comme ça, ce sera plus. Mais malgré cette importante production, il est hors de question pour Pierre Stephan de prélever trop de nectar aux abeilles. "Je leur laisse toujours toute la couronne de miel autour de la reine et du couvain. Elle n'a jamais été aussi pleine, mais c'est leur réserve, pour qu'elles aient tout ce dont elles ont besoin. Ça les rend plus résistantes en période de sécheresse ou de grand froid". Comme tous les ans, les abeilles fabriquent d'abord du miel de fleurs de printemps, puis d'acacia, ensuite de fleurs d'été, de forêt, de châtaignier, de tilleul et de sapin.

Avec le confinement, la demande en miel augmente

En ces temps de crise sanitaire, le miel est plébiscité pour ses propriétés nutritives et son image "source de bonne santé et de force." Il devient une sorte de valeur refuge. Cela a déjà commencé il y a quelques années selon Pierre Stephan, mais pendant ce confinement, la demande de miel bio et local est multipliée par deux. "Mes points de vente demandent à être réapprovisionnés tous les quinze jours, au lieu d'une fois par mois. J'ai donc beaucoup plus de travail, tant dans les ruches et jusqu'à la mise en pot, que pour les livraisons."

Ses prix ne pourront donc pas baisser, à cause de tout ce travail supplémentaire. Par contre, il ne va pas les augmenter. Son miel bio et local est vendu un peu moins de dix euros, les 500 grammes. C'est son fils Corentin, polyhandicapé, décédé en 2016 à l'âge de 11 ans, qui a donné son nom au miel,"Les abeilles de Corantin".

L'apiculteur alsacien constate que le consommateur est de plus en plus en recherche de miel bio et de proximité : "Il craint les produits qui ont voyagé et qui pourraient avoir été en contact avec le virus. Il recherche la sécurité alimentaire et se tourne pour cela vers le boucher, le maraîcher ou l'apiculteur qu'il connaît et dont il connaît les pratiques." Alors, depuis mars de cette année, ses clients lui achètent quatre ou cinq pots, là où ils en prenaient un auparavant. Les drive sont très demandeurs et les livraisons à domicile se multiplient.

Le marché est limité à une fois par mois, mais il vend aussi son miel dans les boulangeries et certains magasins bio. Finalement, ce confinement aura eu deux conséquences notables pour cet apiculteur, d'abord ses abeilles produisent plus de miel, grâce à un calme jusque-là inconnu et une diminution de la pollution, et les consommateurs s'intéressent plus à ses produits, parce qu'ils sont locaux et biologiques.

Par Catherine Munsch (publié le 26/04/2020)
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