Aux Etats-Unis, naissance historique d’un syndicat dans des cafés Starbucks
Cris de joie et embrassades ont fusé, jeudi 9 décembre, à l’annonce des résultats d’un vote historique, qui entérine la création du premier syndicat dans un établissement Starbucks aux Etats-Unis.

« C’est l’aboutissement d’un long chemin », a réagi Michelle Eisen, employée depuis plus de onze ans dans le café en question, avenue Elmwood, à Buffalo, dans l’Etat de New York, dans le nord-est du pays. La bataille a été tellement dure, explique-t-elle, « avec tout ce que Starbucks nous a jeté à la figure ».

Deux stars de l’aile gauche du Parti démocrate ont rapidement félicité les salariés sur Twitter, le sénateur du Vermont Bernie Sanders saluant une victoire « historique », tandis que la représentante Alexandria Ocasio-Cortez accompagnait son message d’un poing levé.

L’ambiance s’est un temps assombrie dans la salle où s’étaient retrouvés les meneurs de la campagne, au fur et à mesure que le dépouillement des votes des salariés d’un autre café de la métropole de Buffalo a montré qu’ils s’étaient prononcés en majorité contre la création d’un syndicat dans leur établissement. Mais les sourires sont revenus après le décompte en faveur du oui dans un autre établissement situé près de l’aéroport de la ville, qui devrait donc avoir lui aussi son syndicat.

Des recours ayant été déposés, les résultats finaux doivent encore être confirmés, mais les partisans de la création d’un syndicat sont confiants. « C’est une victoire tellement énorme, un rêve devenu réalité », a abondé Lexi Rizzo, employée dans un des établissements.

« Je les soutiens »

Maintenant, disent les futurs syndiqués, Starbucks doit venir à la table des négociations. La compagnie, fondée il y a cinquante ans, en 1971, continue d’estimer que les conditions de travail qu’elle propose ne justifient pas la création d’un intermédiaire entre les salariés et la direction. Mais « elle respecte le droit de [ses] partenaires à former un syndicat », a fait savoir une représentante de l’entreprise. Starbucks attend désormais la certification des résultats, la semaine prochaine, avant d’annoncer l’étape suivante, a-t-elle ajouté.

Les organisateurs de la campagne avaient déposé un dossier pour se syndiquer sous la bannière de l’organisation Starbucks Workers United (SWU – « Les Travailleurs de Starbucks unis ») à la fin d’août et les bulletins de vote avaient été envoyés à tous les salariés le 10 novembre. Ces derniers avaient jusqu’à mercredi pour les renvoyer à l’Agence américaine chargée du droit du travail (National Labor Relations Board, NLRB), qui effectuait jeudi le décompte en ligne.

Plus tôt dans la journée, aucun signe du vote historique n’était visible dans l’établissement situé sur Elmwood Avenue. Les serveurs s’empressaient simplement de préparer les commandes des clients. « Ils font partie de mon quotidien et c’est normal qu’ils aient un salaire décent », remarquait l’un d’eux, Steve Boyd, avocat de 60 ans, à sa sortie de l’établissement. S’il faut créer un syndicat pour avoir de meilleures conditions de travail, « alors je les soutiens. »

Cadences intenses

Comme la tentative de syndicalisation menée dans un entrepôt d’Amazon dans l’Alabama au printemps, la campagne des salariés de Starbucks a attiré l’attention bien au-delà des rues de Buffalo. Elle reflète la grogne d’employés décidés à se battre, à un moment où la dynamique sur le marché du travail leur est favorable, remarque Cedric de Leon, professeur de sociologie à l’université du Massachusetts, à Amherst. Alors que de nombreux employeurs peinent à recruter, « le pouvoir de négociation des salariés est très élevé en ce moment », explique-t-il en évoquant les nombreuses grèves ayant émaillé le mois d’octobre ou les millions d’Américains ayant choisi ces derniers mois de démissionner.

Quand il a rejoint Starbucks, en mai, Will Westlake, 24 ans, se félicitait de travailler pour un groupe brandissant régulièrement ses valeurs progressistes et offrant généralement de meilleures conditions de travail que les autres cafés. « Mais quand j’ai commencé, je me suis rendu compte que ce n’était pas forcément le cas », témoigne-t-il à l’Agence France-Presse (AFP). Il a été particulièrement choqué de découvrir que des personnes travaillant depuis plusieurs années gagnaient à peine plus que lui, et il se plaint aussi de cadences intenses.
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« On vend des boissons à 8, 9 dollars, toutes les trente secondes, tout au long de la journée, mais l’entreprise n’a pas rattrapé la demande » en embauchant plus de salariés, explique-t-il. Dans ce contexte, « on peut soit démissionner, soit, puisqu’on tient à l’entreprise, tenter de modifier les choses en formant un syndicat ».

La pandémie a accentué les frustrations des salariés, nombre d’entre eux estimant n’avoir pas reçu suffisamment de soutien pour faire face aux nouvelles exigences sanitaires.

Le début d’une vague ?

Les personnels favorables aux syndicats étaient d’autant plus motivés que Starbucks a fait preuve de résistance. Quelques semaines après le lancement de la mobilisation syndicale, le groupe a annoncé plusieurs mesures, comme le relèvement de son salaire minimal ou une meilleure prise en compte de l’ancienneté. Mais il a aussi, selon les organisateurs de la campagne, déployé les grands moyens pour tenter de convaincre les employés de voter non, envoyant notamment un bataillon de cadres dans la région pour superviser les équipes et tenter de convaincre les employés hésitants. L’emblématique ancien patron Howard Schultz est même venu animer une réunion au début de novembre.

Starbucks a aussi lancé une bataille juridique, en demandant d’abord à ce que les vingt établissements de la zone votent ensemble, puis à ce que le rejet de cette première requête soit invalidé. En vain.

Si le groupe s’inquiète tellement de l’arrivée d’un syndicat, même dans un seul café, « c’est bien parce que cela pourrait déclencher une vague au sein de l’entreprise », remarque Cedric de Leon. Les salariés d’autres établissements de Buffalo ainsi que d’un café en Arizona ont récemment demandé à pouvoir organiser des votes en vue de rejoindre le SWU.

Par Le Monde avec AFP (publié le 10/12/2021)
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