Bio et local : quand les villes cultivent elles-mêmes leurs fruits et légumes
Le maraîchage municipal charme de plus en plus. Un nombre croissant de villes veulent des produits bio et locaux pour leurs crèches et cantines scolaires, et créent donc leur propre régie agricole.

Il faut demander la clé aux gendarmes en poste pour ouvrir le cadenas qui enserre les portes métalliques, juste derrière leur préfabriqué blanc. Ce n’est pas la clé des champs, mais celle d’une parcelle de 1 700 m2 qui serpente entre plusieurs immeubles et le mur du fort de Charenton, à Maisons-Alfort. Cette langue verte au pied de la bâtisse octogonale est propriété de la Gendarmerie nationale, installée dans l’enceinte depuis plus de soixante-dix ans. Elle a signé en mai 2021 une convention d’occupation avec la mairie de la ville pour que celle-ci y développe un projet de maraîchage. Objectif : cultiver fruits et légumes pour couvrir les besoins des quatre crèches municipales, soit les repas quotidiens de quatre-vingt-cinq enfants.

Sitôt paraphé sitôt planté. « Les premières cultures ont commencé en juillet, les premières récoltes en septembre », dit Kévin Tastayre, directeur des espaces verts de la ville. Il y a eu, en amont, un gros travail d’étude et de planification avec un maraîcher recruté par la municipalité pour mener à bien le projet. Même s’il reste un travail d’aménagement des 1 300 m2 exploités qui devrait prendre fin en avril, les premiers rendus des cultures — sans intrants, « mais on n’a pas encore fait les démarches pour le label bio » — satisfont M. Tastayre. Aubergines, betteraves, blettes, choux, courges butternuts... « On a récolté en quelques mois un peu plus de 300 kilos de légumes. Notre projection, c’est 1,7 tonne par an, de quoi couvrir quasiment 100 % des besoins en fruits et légumes “classiques” des enfants », explique-t-il.

Chaque semaine, une calèche municipale amène les denrées du maraîchage aux crèches. « Les enfants aiment beaucoup assister à la livraison », poursuit le responsable des espaces verts. C’est une façon, comme la mise en place d’ateliers pédagogiques sur la parcelle, de les sensibiliser à l’agriculture et à une alimentation saine et locale.

« Avoir le bio le plus local possible »

Ces derniers mois, les propositions d’emplois pour des postes de maraîcher municipal ont fleuri sur les sites spécialisés ou sur ceux des collectivités. Razac-sur-l’Isle (Dordogne), Champlan (Essonne), l’île d’Yeu (Vendée), Chaponost (Rhône) recherchent encore ou viennent de clore la phase de candidature. Il y a un an, Bordeaux (Gironde) lançait un appel similaire. Toutes souhaitent reprendre la main sur leur approvisionnement en fruits et légumes — en partie ou complètement — et privilégier les circuits courts. Elles s’inspirent, de près ou de loin, de Mouans-Sartoux. Cette commune de 10 000 habitants de l’arrière-pays cannois fait figure de pionnière : elle a créé sa régie agricole municipale dès 2011. « Le projet a germé quelques années avant, avec l’idée d’avoir le bio le plus local possible dans les cantines », indique à Reporterre Gilles Pérole, élu délégué à l’enfance, l’éducation et l’alimentation.

Après une étude de faisabilité et le recrutement d’un maraîcher, la mairie avait lancé la production sur un terrain de quatre hectares préempté quelques années auparavant pour empêcher la construction d’un projet immobilier. Le terrain dévolu au maraîchage a été agrandi de deux hectares en 2016 — mais seuls quatre sont en culture — et la commune a investi dans une unité de transformation en surgélation. De 10 tonnes de légumes la première année, la production annuelle atteint les 25-26 tonnes. Deux autres agriculteurs ont été engagés. « On est désormais à une vitesse de croisière, apprécie l’élu. On est autonomes à 85 % en légumes bio pour les 1 300 assiettes servies chaque jour dans les cantines municipales (écoles, crèches). » La réussite de la régie agricole de Mouans-Sartoux se mesure aux nombres d’élus venus en Provence s’intéresser au programme : « Plus de 500 collectivités de France et d’Europe depuis 2018 », recense Gilles Pérole.

« Qu’est-ce que je peux faire moi-même ? »

Dans leur réflexion initiale, les élus sont pourtant tombés sur un os : impossible de trouver des producteurs locaux volontaires pour répondre à leur appel d’offres. « Ils ne s’embêtent pas avec un marché public », commente l’élu mouansois. Constat identique à Vannes (Morbihan), qui a lancé sa régie de maraîchage bio en 2019. « Pour quatre crèches, on ne demandait pas des quantités énormes, mais il y avait des exigences de traçabilité, de l’administratif et le besoin d’une programmation des légumes fournie à l’avance… Bref, c’était compliqué pour les producteurs du coin », pointe Gérard Thépaut, l’élu à la biodiversité, au climat et aux finances. « La restauration collective publique n’est pas un débouché intéressant pour les maraîchers privés, résume Christine Aubry, ingénieure de recherche à l’Inrae (lnstitut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement) et spécialiste de l’agriculture urbaine. Les collectivités sont donc toutes confrontées à ce questionnement : qu’est-ce que je peux faire moi-même ? » La contractualisation d’un maraîcher est l’une des solutions.

À Vannes, où 4,7 tonnes de fruits et légumes ont été récoltés en 2021 sur un terrain de 7 000 m2, il n’y a aucun regret : « C’est un cercle vertueux à plusieurs niveaux. Socialement, car il y a une communication très forte entre le maraîcher et les cuisinières et cuisiniers, qui sont très contents de travailler sur des produits parfois oubliés comme la poire de terre. Écologiquement, car les produits viennent d’une parcelle située juste à côté de Vannes. Les épluchures et déchets des cantines y retournent pour faire du compost », décrit Gérard Thépaut, dont l’ambition serait d’agrandir la production...

Par Baptiste Langlois (publié le 16/02/2022)
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