Biocarburants : l'Europe reconnaît son erreur

L'Union européenne revoit sa copie : la proportion obligatoire de carburant d'origine végétale à l'horizon 2020 est réduite de 10 à 5 %. Catastrophe pour les producteurs ? Chez BioWanze, on ne s'inquiète pas.

Oxfam a gagné. En 2007, il y a cinq ans déjà, l'ONG contestait la volonté de la Commission européenne d'imposer aux Etats membres un minimum de 10 % d'énergie renouvelable pour les transports à partir de 2020. Une intention qui a depuis été traduite en directives dont on mesure aujourd'hui de plus en plus les dégâts dans le monde entier : la ruée vers l'or vert a, selon Oxfam, contribué à la déforestation, appauvri les populations du Sud, provoqué une flambée des prix qui les affame et qui profite plus aux multinationales qu'aux agriculteurs. Tous ces dégâts sans rencontrer les objectifs déclarés de l'Europe, qui étaient de diminuer sa dépendance énergétique, de permettre au monde agricole de bénéficier de nouveaux revenus, et de diminuer l'émission de gaz à effet de serre. Aujourd'hui, la Commission européenne s'apprête à brûler ce qu'elle a adoré : elle va sans doute ramener ce seuil de 10 à 5 %, et interdire toute aide après 2020 aux biocarburants (qui n'ont rien de bio) de première génération, produits avec des matières premières qui peuvent servir à l'alimentation.

A Wanze (Huy), les Raffineries tirlemontoises (RT), filiale du groupe allemand Züdsucker, ont investi 250 millions d'euros dans la construction d'une usine de production d'éthanol (alcool), un agrocarburant qui, mélangé à l'essence, fait tourner les moteurs de nos chères auto- mobiles. Inaugurées en 2009, les installations de BioWanze (123 emplois directs) produisent 300 000 mètres cubes de bio-éthanol par an. En bord de Meuse, la décision européenne est attendue avec sérénité, parce que, explique Cristelle Noirhomme, porte-parole des RT, « notre projet a été pensé en termes de durabilité, et notre produit va bien au-delà des exigences puisqu'il permet une réduction de 70 % des émissions de CO2 par rapport à l'essence fossile, quand la réduction imposée est de 35 %. Plus propre que nous, ce n'est pas possible, alors nous voyons cette décision de façon positive ».

Des cultures locales

De fait, la volonté de la Commission de ramener la proportion obligatoire d'agrocarburants de 10 à 5 % correspond grosso modo à l'état actuel du marché. L'essence aujourd'hui disponible aux pompes belges contient un peu plus de 6 % d'éthanol (4,5 % pour la moyenne européenne). La demande ne devrait donc guère faiblir pour les 300 millions de litres de BioWanze, qui sont exportés pour plus de la moitié. D'éventuels concurrents seront en outre refroidis par la perspective d'un marché saturé, et hésiteront à investir. Pour produire 300 000 tonnes d'éthanol, BioWanze utilise 800 000 tonnes de céréales et 400 000 tonnes de betteraves. Pour ces dernières, il s'agit de racines excédentaires (hors quota), à 100 % d'origine belge, ce qui permet, selon les RT, d'apporter un complément de revenus à plus de 5 000 planteurs. Les céréales, quant à elles, proviennent, par péniche principalement, d'un rayon de 300 kilomètres au maximum (Belgique, Allemagne, nord de la France). Une production indigène donc.

Processus intégré

« Notre processus est durable également parce qu'il est intégré, poursuit Cristelle Noirhomme. Le son des céréales (l'enveloppe des grains) alimente une unité de cogénération (électricité et chaleur), les protéines sont isolées pour produire du gluten, et les résidus de la fermentation permettent de mettre sur le marché 200 000 tonnes d'aliments pour animaux. Autant qu'il ne faut pas importer. »

Hendrik Lemahieu, le secrétaire général de l'association belge du bioéthanol, se montre moins optimiste. De nombreuses infrastructures ont été construites dans la perspective des 10 % d'incorporation, et on vient changer les règles. « Nous espérons que la future directive sera aménagée : on vous a promis 10 % ? OK, on garde, avec les 5 % d'agrocarburants de première génération, mais ensuite on va promouvoir exclusivement ceux de la seconde. » La filière actuelle vient de démarrer, en 2008-2009, et il faudra sept ans pour transformer les usines en vue de la seconde génération. « La production de bioéthanol en Belgique, ajoute-t-il, ne se fait pas au détriment des cultures vivrières : le blé, avec 3 millions de tonnes, ne varie pas par rapport aux années précédentes. »

L'eurodéputé Marc Tarabella (PS), bourgmestre d'Anthisnes (arrondissement de Huy-Waremme, tout comme Wanze), qui avait encore interrogé la Commission européenne en août sur ce sujet, se réjouit d'avoir été entendu. « Certes, dit-il, les agrocarburants partaient d'une bonne intention, mais l'enfer n'en est-il pas pavé ? » Le risque de pénurie alimentaire est une conséquence directe de la pression sur les surfaces agricoles et les prix. Les prix du maïs ou du blé, du colza ou du soja sont tous affectés par une hausse mondiale, alors que l'on assiste parallèlement à une diminution historique des stocks. Des experts annoncent des hausses de prix énormes sur toutes les denrées alimentaires de base dans le monde entier : + 41 % pour le maïs d'ici à 2020 ; + 76 % pour les oléagineux (colza, soja, tournesol) ; + 30 % pour le blé ; + 135 % pour le manioc qui est pourtant un aliment crucial dans les pays les plus pauvres d'Afrique subsaharienne, d'Amérique latine ou d'Asie. Ce sont 1,2 milliard de personnes qui risquent de ne pas manger à leur faim d'ici à 2025.

Rouler au colza, pour des frites à l'huile de palme ?

Car, si les cultures pour la production d'agrocarburant ne prennent pas la place de celles destinées à l'alimentation, comme le disent les producteurs belges et qui est difficilement vérifiable, leur impact n'est pas forcément nul. Exemple avec le colza, dont l'huile intervient dans le biodiesel : si des terres, chez nous, lui sont consacrées, cela se fait au détriment d'autres cultures ; si ce colza (dont l'huile possède de nombreuses vertus nutritionnelles) est transformé en carburant, nous devons importer d'autres matières premières, comme l'huile de palme (qui n'est pas le top santé) pour satisfaire la consommation de margarines et autres huiles alimentaires ; cette huile de palme est produite en Asie du Sud-Est et en Afrique centrale par des pays pauvres, dont les habitants sont poussés à sacrifier les terres qui les nourrissent et à en gagner sur la forêt, au détriment du bilan CO2 mais au bénéfice de gouvernements totalitaires et surtout des multinationales : la bien connue Unilever ou Wilmar, la société basée à Singapour qui a repris l'usine de biodiesel Neochim de Feluy, rebaptisée Biochim, et 24 des 35 travailleurs d'avant la faillite.

« BioWanze a investi de bonne foi et travaille sérieusement, reprend Marc Tarabella, mais les conséquences néfastes de l'utilisation d'agrocarburants de première génération sont à présent connues. Il faut donc faire évoluer le bouquet énergétique de biocarburants en faveur des plus performants et des plus neutres en matière d'impact sur les sols, une seconde génération d'agrocarburants produits à partir de déchets ou de résidus végétaux, qui n'entrent pas en concurrence avec l'alimentation humaine ou animale. » Ou au départ d'algues et de plantes non alimentaires.

Mais ce débat sur les bons ou les mauvais agrocarburants est-il fondamental ? Les carburants verts ne compensent même pas la hausse de consommation de carburants fossiles, et si rien ne change, l'Europe importera encore plus de pétrole en 2020 qu'aujourd'hui.

MICHEL DELWICHE