Cantines : le bio prouve son efficacité sur tous les plans
Trop cher, trop compliqué… Nombre d’élus pensent, à tort, que mettre du bio dans les assiettes des enfants est une mission impossible. Des écoles prouvent le contraire. Mais il faut accepter de lâcher le modèle industriel.

Au menu du jour : potage de légumes, sauté de porc, macaronis... Le 14 novembre, à la cantine, les petits Angevins ont droit à un repas assez classique. Ce qui l’est moins, c’est que ces produits sont tous bio et que, cerise sur le gâteau, la plupart proviennent de leur département, le Maine-et-Loire.

La métropole de Loire-Angers a choisi d’approvisionner ses écoles, crèches et centres de loisirs le plus possible avec des productions issues de l’agriculture bio et/ou locale. Sa toute nouvelle cuisine centrale — gérée par la société publique Papillote et compagnie — achète actuellement près de 33 % de ses denrées alimentaires en bio. 14 000 élèves de dix-neuf communes de l’agglomération en profitent chaque jour. La collectivité fait figure de bonne élève en dépassant le seuil minimum de 20 % de bio que la loi dite Égalim impose aux cantines des établissements publics depuis le 1er janvier 2022.

Alors que la consommation de produits bio a chuté dans les magasins et que l’agriculture bio est dans une mauvaise passe, les cantines pourraient devenir « une vraie bouffée d’air », estime Philippe Camburet, président de la Fédération nationale de l’agriculture biologique (Fnab). « Si la loi Égalim était respectée, la bio représenterait un débouché de 1,4 milliard d’euros », souligne Laure Verdeau, directrice de l’Agence bio, qui a récemment lancé la campagne « Cuisinons plus bio » à l’adresse des restaurants, collectifs ou pas.

« Je ne crois pas au bio »

Au niveau national, seules 7 % des cantines scolaires respecteraient le seuil des 20 %, selon l’Agence bio. Il faut dire qu’aucune sanction n’est prévue pour les collectivités en infraction. « J’entends souvent des élus me dire “Je ne crois pas au bio” ou “Le local, c’est mieux que le bio” », raconte Laure Gautier, chargée de mission restauration collective et collectivités à Agribiovar, association qui accompagne les producteurs bio dans le Var. Pour elle, « le premier frein, c’est le manque de connaissance et de conviction ».

« Il faut une réelle volonté politique pour que ça fonctionne », ajoute Marine Jobert, coordinatrice du collectif Les Pieds dans le plat. Elle cite l’exemple de la Dordogne où Germinal Peiro, président du conseil départemental, a fait voter dès 2016 une feuille de route pour passer tous les collèges en 100 % bio et fait maison.

Résultat : en 2019, le premier collège de France certifié 100 % bio était périgourdin ; aujourd’hui, douze collèges sur trente-cinq servent du 100 % bio et 100 % fait maison ; 20 ont obtenu le label En cuisine, premier label dédié à la restauration collective bio. En France, plus de 3 000 cantines sont labellisées En cuisine, preuve que le bio n’est pas mission impossible.

Un euro d’économie sur le repas en passant au bio

Les collectivités réfractaires estiment que passer au bio serait trop cher. « Oui, le bio coûte plus cher, reconnaît Laure Gautier. C’est normal, car le rendement est plus faible et l’objectif est aussi de bien rémunérer les producteurs. » Mais la part des matières premières « ne dépasse jamais plus d’un tiers du coût du repas », souligne Philippe Camburet de la Fnab. Surtout cuisiner bio permet d’avoir une réelle maîtrise des coûts, affirment tous les acteurs avec lesquels Reporterre a échangé.

Jusqu’à faire baisser les coûts ? C’est en tout cas ce que tend à prouver l’expérience de Romainville en Seine-Saint-Denis. Depuis que la ville propose du 100 % bio et local aux élèves de l’école Maryse Bastié, le coût complet d’un repas (frais de personnel et tout autre frais inclus) est passé de 7,35 à 6,38 euros, soit près de 1 euro d’économie, selon la mairie.

Il n’y aucun secret dans ce résultat, juste du bon sens : faire la chasse au gaspillage, acheter en direct et en local plutôt que chez les grossistes, choisir des produits bruts et de saison, opter pour le fait maison… Mais cela impose une totale remise en question des méthodes de travail. Les équipes, jusque-là souvent cantonnées à l’ouverture des boîtes de conserve et au réchauffage de plats transformés, doivent être formées.

Par exemple, « remettre de la saisonnalité demande de plus anticiper ses besoins. Si je veux tant de kilos de poireaux telle semaine, je dois le décider avec le maraîcher plusieurs mois à l’avance », explique Stéphane Veyrat, directeur de l’association Un plus bio, qui œuvre depuis plus de vingt ans pour changer les pratiques.

Pas question de céder aux nuggets de pois chiches

La mise en place d’un repas végétarien avec des légumineuses, largement moins chères que la viande, permet aussi de faire des économies. Mais là encore, pas question de se tourner vers l’industriel, comme les nuggets de pois chiches ou les steaks au soja, très chers. « Il faut réapprendre à faire des bouillons à partir des légumes préparés le matin, mouiller les céréales, utiliser des épices afin de donner du goût et de la couleur au plat », détaille Marine Jobert.

Et savoir maîtriser certaines techniques de cuisson. « Afin de préserver leur goût et leur couleur, on cuit les légumes frais à basse température, explique Anthony Routhiau, chef cuisinier de Papillote et compagnie à Angers. Même chose pour les viandes, parce qu’un poulet bio élevé pendant quatre-vingt-deux jours ne peut pas se cuisiner comme un poulet industriel élevé en quarante jours. »

L’une des difficultés majeures pour intégrer du bio à la cantine est de trouver des filières d’approvisionnement. La mise en relation entre collectivités et producteurs ne va pas toujours de soi. La partie administrative, notamment lorsqu’il faut élaborer un appel d’offres dans le cadre des marchés publics ou y répondre, est sans doute l’aspect le plus redouté.

Mais plusieurs structures sont là pour accompagner les uns ou les autres dans ces démarches, à l’image du Réseau Manger bio ou de Nourrir l’Avenir, une Scic (Société coopérative d’intérêt collectif) créée par Les Pieds dans le plat. « On explique aux collectivités comment établir leur cahier des charges, explique Marine Jobert. Si elles ne font qu’un seul lot pour tous les produits laitiers, aucun producteur bio et local ne pourra répondre à la demande, parce qu’il faudrait qu’il fasse à la fois de la tomme de vache, du fromage blanc, du chabichou, du yaourt… »

Remettre les cuisines au plus près des enfants

La logistique peut aussi poser question. De nombreuses cantines, qui ont toujours eu l’habitude des légumes livrés tout prêts, expliquent qu’elles n’ont pas les moyens de laver, éplucher, découper les produits bruts. Sauf que les maraîchers ne les ont pas non plus. Élus et groupements d’agriculteurs décident parfois d’investir dans des outils de transformation, comme une légumerie externe.

Une solution qui présente de gros inconvénient, selon Marine Jobert, du collectif Les Pieds dans le plat : « La légumerie doit être située dans la cuisine, sinon on en revient très vite à du bio “emplastiqué” par tous les bouts, travaillé en amont donc ayant perdu l’ultra fraîcheur, et sans maîtrise aussi fine du coût, car l’équipe n’a pas la main sur tout le processus. »

Le collectif plaide aussi pour la relocalisation des cuisines au sein des écoles. « Certaines choses ne sont pas possibles avec une cantine centrale », estime sa coordinatrice qui prend l’exemple de la lutte contre le gaspillage. « Si sur mes 15 kilos de carottes râpées, 3 kilos ne sont pas servis, ils seront jetés, parce qu’en termes sanitaire et logistique, c’est compliqué, voire impossible, de faire revenir le surplus à la cantine centrale. À Bruz, en Bretagne, où la cuisine se fait en 100 % bio, mais en centrale, ils ont quand même 30 % de gaspillage [un chiffre dans la moyenne nationale]. »

Angers est aussi confrontée à cette problématique. Face au gâchis lié aux absences d’enfants non signalées, la métropole impose depuis septembre la réservation des repas et facture ceux qui n’ont pas été pris. Au contraire, quand la cuisine est sur place, le rab peut être facilement réintégré dans le repas du lendemain.

Surtout, quand tout est cuisiné sur place, les enfants ont plus de liens avec l’équipe. « Ce qui est dans l’assiette apparaîtra meilleur aux enfants, car c’est incarné par le cuisinier, qu’ils connaissent. Au-delà du goût, l’enfant est émotionnellement accompagné », juge Marine Jobert.

Car avec le fait maison et le bio, la qualité ne se limite pas à la nourriture. Cuisiner remet du liant entre les gens, favorise la créativité. Pour Stéphane Veyrat, « mettre du bio dans les cantines, c’est construire une société plus plaisante, opter pour le vivre en commun. Le contraire des plats préemballés, parfait symbole du chacun pour soi ».

Par Fabienne Loiseau (publié le 20/11/2023)
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