Dans cette prison, on plante des oliviers et de l’espoir pour les détenus
À la prison de Luynes, près d’Aix-en-Provence, des détenus participent à la plantation d’une centaine d’oliviers. Par le jardinage, une association tente de les réinsérer dans la vie professionnelle, tout en les sensibilisant à l’écologie.

Le soleil tape fort sur une étendue de terre accolée à un parking bétonné. Quelques jeunes arbres encore frêles s’extraient péniblement d’une terre aride et rocailleuse. En arrière-plan, de hauts blocs de béton s’élèvent. En lettres capitales, quatre mots s’érigent, peinture blanche sur mur gris : Centre pénitentiaire d’Aix-Luynes.

À quelques kilomètres d’Aix-en-Provence, la prison de Luynes est posée entre deux collines délimitées par l’autoroute. Depuis plusieurs mois, une petite dizaine de détenus se relaient à raison de deux matinées par semaine pour planter 100 oliviers sur un terrain en friche, juste en face de la prison. « Le but, c’est de faire pousser toute une oliveraie et, à terme, de produire notre propre huile, classée AOP » (appellation d’origine protégée), dit Théo Lagrange, coordinateur du projet au sein de l’association Graines de soleil.

Ce matin, ils sont trois à défricher, labourer et arroser les oliviers : Amaury, Mohamed et Cyril. Vêtu d’un tee-shirt orange et d’un pantalon bleu — la tenue réglementaire des détenus — Mohamed arrose le pied d’un des oliviers qui semble reprendre vie. « C’est un autre monde par rapport à la prison. Le fait d’être là, de sortir, d’arroser les plantes, de profiter de l’air, ça fait un bien fou », dit-il. Voilà un an qu’il est incarcéré.

« On a l’impression de se sentir un peu normal »

Cette matinée est un soulagement immense pour les détenus. Cela fait plus d’un mois qu’ils ne sont pas sortis. Une bonne partie de l’été, la prison s’est transformée en foyer de Covid-19. Plus de soixante-dix détenus et quatre agents ont été infectés. Toutes les activités, atelier de jardinage compris, ont été annulées. Celles-ci n’ont repris qu’à la rentrée de septembre, au compte-gouttes. Alors, aujourd’hui, les détenus savourent.

« Le seul fait d’être là, à discuter à l’air libre, ça fait vraiment du bien. On a l’impression de se sentir un peu normal. C’est cette normalité qui nous manque à l’intérieur », dit Amaury, en désignant du menton les bâtiments de la prison. Ancien militaire, il est emprisonné depuis un an. « De toute façon, tout est mieux que le fait d’être en cellule. On y est 21 heures sur 24, ça laisse le temps d’en faire le tour », confirme Cyril. Lui est là depuis un peu plus d’une année. Il a été condamné à quinze mois ferme pour trafic de stupéfiants. « Avec la crise, je ne pouvais plus bosser dans le bâtiment. J’ai essayé de me faire trois sous en vendant du shit et ça m’a conduit ici. »

Mohamed, Amaury et Cyril sont tous en fin de peine, qu’ils purgent comme la plupart des détenus au sein du centre pour peines aménagées (CPA). Ils y bénéficient de cellules et de douches individuelles, de permissions de sortie de quelques jours, de formations et d’activités comme la plantation de ces oliviers.

Derrière cette initiative, une association : Graines de soleil. Créée à Châteauneuf-les-Martigues, sur la côte sud de l’étang de Berre, elle s’est mise en tête de réinsérer détenus, décrocheurs scolaires et chômeurs de longue durée grâce au maraîchage biologique. Au-delà de l’oliveraie, ce « jardin d’insertion » — comme l’association se qualifie — emploie une cinquantaine de personnes par an afin de créer des jardins collectifs, de participer à des travaux environnementaux ou à l’entretien d’espaces verts. Les fruits et légumes récoltés dans ce cadre sont ensuite vendus à des restaurants de la région ou revendus dans des paniers bio sur le même modèle que n’importe quelle Amap (Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne). « On cherche à recréer les conditions d’un retour à l’emploi durable, chez des femmes et des hommes de tous âges, en difficultés sociale, professionnelle ou personnelle », détaille Théo Lagrange.

« On apprend plein de choses sur l’écologie »

À la prison de Luynes, l’association s’est d’abord occupé de créer un jardin collectif au sein du CPA. De la plantation des graines à la récolte des fruits et légumes, les détenus se chargent de toutes les étapes. Devant le succès de l’opération, la direction a proposé à l’association de se lancer dans la plantation d’une oliveraie avec les détenus. « Sur le papier, c’était impossible. La terre était dure comme de la roche et on n’avait pas d’accès direct à l’eau. Et puis, il a fallu faire correspondre les exigences de l’administration pénitentiaire à celles de la nature », se remémore Théo Lagrange.

La nouveauté et l’originalité du projet ont encouragé les bonnes volontés et ont permis de surmonter les premières difficultés. Les surveillants ont pris sur leurs jours de congé pour creuser une tranchée à bord d’une tractopelle. Une entreprise a été appelée pour labourer le terrain. Théo s’est chargé d’acheter une variété d’oliviers locaux et est allé frapper à la porte du paysan voisin pour récupérer de la paille et du fumier. Et au printemps, les détenus ont planté leurs premiers oliviers.

« Le but n’est pas d’occuper les mains des détenus quelques heures par semaine, c’est aussi de leur apprendre des choses sur le fonctionnement de la nature », dit Théo. Le terrain est particulièrement exposé au soleil ? Ils récupèrent de la paille pour l’installer au pied des arbres afin de conserver l’humidité plus longtemps. La terre est infestée de rats des champs ? Ils installent des perchoirs afin d’attirer les rapaces, qui chasseront les rongeurs. « On apprend plein de choses sur l’écologie, sur la terre, sur le fonctionnement de la biodiversité. On essaie de recréer un tout petit écosystème en fait », dit Amaury, l’œil expert. « Il y a une fierté aussi, on a le sentiment de faire quelque chose d’utile, de ne pas perdre notre temps. Dans dix ans, je passerai devant cet endroit avec mon fils et je lui dirai que c’est moi qui ai planté ces arbres », affirme Mohamed.

    « Là, on est tous sur un pied d’égalité. »

La méthode n’a toutefois rien d’infaillible et la participation à ces ateliers ne garantit pas une réinsertion réussie. « L’an dernier, un des anciens détenus que l’on suivait est venu bosser chez nous après sa sortie de prison. Quelques mois plus tard, il a été retrouvé mort, tué par balles », raconte Théo.

Pour autant, la démarche permet de revoir les liens entre tous. « Nous aussi on apprend beaucoup, dit Nono, surveillant en chef. On voit bien que les détenus sont volontaires pour venir. » « Chacun a son rôle à jouer, tout le monde en est conscient, dit Théo. Mais le fait de jardiner ensemble, de participer aux mêmes tâches permet de trouver des points communs, ça change les rapports entre les détenus et les surveillants. » « Le surveillant qui mouille le maillot, on a du respect pour lui, forcément. Là, on est tous sur un pied d’égalité », confirme Amaury.

Par Marius Rivière (publié le 15/10/2021)
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