En Grèce, l’usine de savons écolos grandit sans patron
En banlieue de Thessalonique, en Grèce, des travailleurs fabriquent et vendent des savons écolos sans patron. Voilà dix ans que la faillite de leur entreprise les a poussés à occuper l’usine et faire le choix, heureux, de l’autogestion.

Thessalonique (Grèce), reportage

« Il y a de la feta, de l’ouzo, du pain… Mangez avec nous ! » Il est 13 h 30 à Thessalonique, dans le nord de la Grèce, et c’est la fin de la journée de travail pour les ouvrières et ouvriers de l’usine VioMe [1]. Comme tous les jours, ils se retrouvent autour d’une grande table devant l’usine, discutent, boivent et mangent avant de rentrer chez eux. Leur histoire est un conte anticapitaliste que les milieux militants grecs aiment à raconter et qui inspire de nombreuses luttes.

En 2011, au plus fort de la crise économique, Filkeram & Johnson — le propriétaire de l’usine et l’un des principaux fabricants de matériaux de construction en Grèce — faisait faillite. Des centaines de personnes risquaient d’être licenciées, de nombreux salaires impayés. Qu’à cela ne tienne, les travailleurs réunis et déterminés décidèrent d’occuper l’usine. Occuper pour garder le matériel de production dans les locaux, occuper pour ne pas se résigner à la loi du marché, et réfléchir à une solution pour sauver les emplois. Sans salaire, ils ont pu compter sur la solidarité de nombreux collectifs de la ville qui ont organisé concerts et festivals de soutien, et de toute la société civile grecque. Les mois furent durs pour les travailleurs en lutte, et certains quittèrent l’usine.

Après deux ans d’occupation, ils créèrent la coopérative VioMe et relancèrent la production. Finis, les matériaux de construction, la poussière et les produits chimiques. « Au départ, on a cherché à produire les même matériaux de construction que l’on fabriquait avant. Mais la demande était très faible durant la crise économique, il n’y avait plus de chantiers. On nous a suggéré de trouver des produits qui pourraient être plus utiles à la société », raconte à Reporterre Fotini, jeune chimiste à VioMe, qui a rejoint l’aventure en cours de route. « Après de nombreuses recherches, on s’est tourné vers la fabrication de nettoyants et de produits d’entretiens naturels et biologiques. Ces produits sont très abordables et on les trouvait très peu dans les supermarchés grecs. »

Depuis, l’expérience autonome de VioMe se poursuit. Après la création de la coopérative en 2013 et la relance de la production, collectifs, coopératives, squats et associations se sont rapidement mobilisés pour proposer à la vente les produits de l’entreprise, en Grèce comme ailleurs. [2] Cela a permis de conserver une dizaine d’emplois sur le site, mais les travailleurs doivent toujours faire face à de nombreuses pressions des pouvoirs publics. Ces dernières années, l’électricité a été coupée à plusieurs reprises sans avertissement, pour cause de factures impayées par l’ancien propriétaire, mettant en péril la production. Là aussi, les travailleurs auto-organisés de VioMe ont trouvé la parade. Après une campagne de financement, ils ont pu acquérir un générateur à diesel pour alimenter l’usine et être totalement indépendants. « Ce n’est pas une solution à long terme et cela nous revient beaucoup plus cher vu le prix du pétrole, mais nous n’avons pas d’autre solution pour le moment », dit Fotini en haussant sa voix pour se faire entendre malgré le bruit de la machine.

Dimitris, lui, travaille ici depuis longtemps, bien avant la faillite de 2011. Il était là quand il y avait un patron et une hiérarchie. Sa veste sans manches et sur laquelle est brodé « VioMe 2006 » est d’ailleurs un vestige de l’époque. La coopérative est désormais son usine, son matériel, et il aime faire visiter les lieux, déambuler dans les entrepôts pour expliquer l’histoire de ces murs et le processus de fabrication des différents produits. « Ici, on est dans le laboratoire. C’est là que travaille Fotini », dit-il. La jeune chimiste est en effet assise à son bureau. « Les savons sont à base d’huile d’olive biologique, un produit abondant dans notre pays. Quant aux nettoyants naturels, ils sont produits à base de savon, de vinaigre, d’huile de coco ou de ricin etc., et contiennent des matières premières d’origine végétale provenant de sources renouvelables et non de sous-produits du pétrole », détaille Fotini.

« Nous avons des relations avec beaucoup d’associations et de collectifs écologiques radicaux. Il faut prendre cette lutte de manière holistique, et ce n’est certainement pas compatible de vouloir protéger l’environnement tout en maximisant les profits des grandes entreprises », poursuit Dimitris...

Par Justin Carrette (publié le 22/11/2021)
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