10 Juin 2021
C’est une sacrée victoire pour Rania Amdouni, et un message d’espoir pour ses congénères. La militante queer a remporté son procès en appel, et échappe ainsi à six mois d’emprisonnement. Elle était jusqu’à présent incarcérée dans la prison pour femmes de la Manouba, à l’ouest de Tunis, pour outrage aux forces de l’ordre et troubles.
Symbole des revendications de la jeunesse
Rania Amdouni est de toutes les manifestations : tour à tour déguisée en clown, enroulée dans un drapeau LGBT +, au premier rang des cortèges, son visage est devenu celui de la jeunesse tunisienne, celle qui se bat pour ses droits. Elle fait partie de l’association Damj, première organisation de soutien aux personnes LGBT +, et préside Chouf, structure féministe œuvrant pour les droits des personnes s’identifiant comme femmes. Ses apparitions provoquent l’ire des autorités, depuis les photos prises le 30 janvier, la montrant debout face à des policiers, dissimulés par des boucliers.
«L’existence de Rania est un véritable défi pour les institutions tunisiennes», analyse Neela Ghoshal, directrice adjointe auprès de la division LGBT de Human Rights Watch. Harcelée depuis plusieurs mois par les forces de l’ordre, en ligne ou dans la rue, Rania Amdouni finit par se rendre à un poste de police, afin de porter plainte. Non seulement, les agents présents refusent, mais ils se moquent d’elle. Hors du commissariat, la jeune femme crie, pour protester. Elle est arrêtée, et condamnée le 4 mars, pour avoir insulté un officier de police. Une «accusation fourre-tout», permise par l’article 125 du code pénal tunisien, pour Amna Guellali, en charge du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnesty International, «très utilisée pour clouer le bec aux opposants».
Depuis 2011, et le vent de liberté qui a soufflé sur la Tunisie, le ton a évolué. «Aujourd’hui, la cause LGBTQI + est devenue un vrai sujet de discussion, alors qu’avant la Révolution, c’était un immense tabou», poursuit Guellali. Surtout, à l’image des luttes intersectionnelles occidentales, la cause s’est pleinement intégrée à d’autres motifs de révoltes. Les associations rejoignent des coalitions, luttent pour les libertés individuelles. «Les jeunes veulent des changements institutionnels, juridiques, et plus largement, prônent une nouvelle vision de la société.» Rania Amdouni est de ceux-là.
«Les gens sont en colère»
En janvier, éclatent des manifestations contre la classe politique et la répression policière, sur fond de remaniement électoral. La jeunesse afflue, massivement, dans les rues. Beaucoup sont mineurs. «On est dans un processus de changement depuis la Révolution, qu’on le veuille ou non. Le pays n’a plus d’argent, les gens sont en colère», confie Ali Bousselmi, co-fondateur et président exécutif de l’association Mawjoudin (We Exist), ONG qui lutte pour les droits des personnes LGBT +. «Tout est flou, tout se dégrade. C’est l’anarchie totale en Tunisie.» Selon cet activiste, les personnes LGBT + ne sont pas nécessairement plus stigmatisées, elles subissent la même dégradation du niveau de vie et des libertés que les autres. «Il n’y a pas de volonté politique de chasser les personnes LGBTQI + de Tunisie», insiste-t-il.
La non-condamnation de Rania Amdouni pourrait abonder dans ce sens. Toutefois, malgré la libération de la parole, la jeune femme a raconté avoir été victime de harcèlement, de menaces, d’intimidation. L’article 230 du code pénal, qui prévoit jusqu’à trois ans d’emprisonnement pour un rapport sexuel «sodomite», est toujours en vigueur. «La communauté LGBT est doublement victime : de toutes les formes d’abus que connaissent les Tunisiens, mais aussi de la cristallisation du discours de haine et d’intolérance autour d’eux», renchérit Amna Guellali, qui accuse le gouvernement de «dérive liberticide». Et les personnes LGBT +, Rania Amdouni en tête, incarnent ce que les autorités tunisiennes souhaitent mettre au pas : la liberté, la jeunesse. «Vous imaginez bien, admet Neela Ghoshal, Rania Amdouni, c’est une femme queer qui se bat pour ses droits. Elle est devenue un symbole en Tunisie.» Ali Bousselmi précise néanmoins : «Nous avons remporté une victoire mais pas la guerre.»
Par Margot Davier (publié le 19/03/2021)
A lire sur le site Libération
Symbole des revendications de la jeunesse
Rania Amdouni est de toutes les manifestations : tour à tour déguisée en clown, enroulée dans un drapeau LGBT +, au premier rang des cortèges, son visage est devenu celui de la jeunesse tunisienne, celle qui se bat pour ses droits. Elle fait partie de l’association Damj, première organisation de soutien aux personnes LGBT +, et préside Chouf, structure féministe œuvrant pour les droits des personnes s’identifiant comme femmes. Ses apparitions provoquent l’ire des autorités, depuis les photos prises le 30 janvier, la montrant debout face à des policiers, dissimulés par des boucliers.
«L’existence de Rania est un véritable défi pour les institutions tunisiennes», analyse Neela Ghoshal, directrice adjointe auprès de la division LGBT de Human Rights Watch. Harcelée depuis plusieurs mois par les forces de l’ordre, en ligne ou dans la rue, Rania Amdouni finit par se rendre à un poste de police, afin de porter plainte. Non seulement, les agents présents refusent, mais ils se moquent d’elle. Hors du commissariat, la jeune femme crie, pour protester. Elle est arrêtée, et condamnée le 4 mars, pour avoir insulté un officier de police. Une «accusation fourre-tout», permise par l’article 125 du code pénal tunisien, pour Amna Guellali, en charge du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnesty International, «très utilisée pour clouer le bec aux opposants».
Depuis 2011, et le vent de liberté qui a soufflé sur la Tunisie, le ton a évolué. «Aujourd’hui, la cause LGBTQI + est devenue un vrai sujet de discussion, alors qu’avant la Révolution, c’était un immense tabou», poursuit Guellali. Surtout, à l’image des luttes intersectionnelles occidentales, la cause s’est pleinement intégrée à d’autres motifs de révoltes. Les associations rejoignent des coalitions, luttent pour les libertés individuelles. «Les jeunes veulent des changements institutionnels, juridiques, et plus largement, prônent une nouvelle vision de la société.» Rania Amdouni est de ceux-là.
«Les gens sont en colère»
En janvier, éclatent des manifestations contre la classe politique et la répression policière, sur fond de remaniement électoral. La jeunesse afflue, massivement, dans les rues. Beaucoup sont mineurs. «On est dans un processus de changement depuis la Révolution, qu’on le veuille ou non. Le pays n’a plus d’argent, les gens sont en colère», confie Ali Bousselmi, co-fondateur et président exécutif de l’association Mawjoudin (We Exist), ONG qui lutte pour les droits des personnes LGBT +. «Tout est flou, tout se dégrade. C’est l’anarchie totale en Tunisie.» Selon cet activiste, les personnes LGBT + ne sont pas nécessairement plus stigmatisées, elles subissent la même dégradation du niveau de vie et des libertés que les autres. «Il n’y a pas de volonté politique de chasser les personnes LGBTQI + de Tunisie», insiste-t-il.
La non-condamnation de Rania Amdouni pourrait abonder dans ce sens. Toutefois, malgré la libération de la parole, la jeune femme a raconté avoir été victime de harcèlement, de menaces, d’intimidation. L’article 230 du code pénal, qui prévoit jusqu’à trois ans d’emprisonnement pour un rapport sexuel «sodomite», est toujours en vigueur. «La communauté LGBT est doublement victime : de toutes les formes d’abus que connaissent les Tunisiens, mais aussi de la cristallisation du discours de haine et d’intolérance autour d’eux», renchérit Amna Guellali, qui accuse le gouvernement de «dérive liberticide». Et les personnes LGBT +, Rania Amdouni en tête, incarnent ce que les autorités tunisiennes souhaitent mettre au pas : la liberté, la jeunesse. «Vous imaginez bien, admet Neela Ghoshal, Rania Amdouni, c’est une femme queer qui se bat pour ses droits. Elle est devenue un symbole en Tunisie.» Ali Bousselmi précise néanmoins : «Nous avons remporté une victoire mais pas la guerre.»
Par Margot Davier (publié le 19/03/2021)
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