Equateur : le gouvernement recule face à la mobilisation populaire
Le gouvernement de Lenín Moreno et les dirigeants indigènes ont trouvé dimanche un accord pour sortir de la violente crise qui paralyse le pays depuis douze jours, avec le retrait du décret sur les prix de l’essence.

En Equateur, le mouvement indigène crie victoire

«On a réussi, on a réussi. Vive le peuple». La foule a envahi les rues du centre de Quito dimanche soir avec des cris de joie. Et le bruit des grenades lacrymogènes qui avait retenti une bonne partie de la journée a laissé la place à celui des pétards et des feux d’artifices. Tout à coup, la capitale de l'Equateur, ville morte depuis des jours à cause du couvre-feu, a semblé se réveiller. Après douze jours d’une crise qui a complètement paralysé le pays et fait au moins sept morts, le gouvernement a accepté de retirer le décret 883 libéralisant le prix des carburants qui avait déclenché les mobilisations.

Feuille de route

Les dirigeants indigènes et le gouvernement sont parvenus à un accord à l’issue d’un dialogue de près de cinq heures mené sous l’égide des Nations unies et de l’Eglise catholique : une commission s’est aussitôt mise au travail pour élaborer «un nouveau décret qui doit remplacer l’ancien» comme l’a annoncé Arnaud Peral, le représentant des Nations unies en Equateur qui dirigeait les débats.

«Céder, ce n’est pas perdre», a déclaré le président équatorien Lenín Moreno à la fin des conversations tandis que Jaime Vargas, le président de la Confédération des nationalités indigènes d’Equateur (Conaie) annonçait la levée des actions dans tous les territoires. En début d’après-midi, avant l’ouverture des conversations avec le gouvernement, Vargas et les principaux dirigeants indigènes avaient défini leur feuille de route en cinq points, devant près de 5 000 des leurs réunis dans l’immense amphithéâtre de l’emblématique Maison de la culture de Quito, devenu le QG du mouvement : ne pas céder sur «l’abrogation du décret 883» ; la démission des ministres de l’Intérieur et de la Défense, responsables à leurs yeux des violences et de la répression ; la levée de l’état d’exception ; la libération et l’amnistie de tous les détenus pendant les manifestations (au moins 1300) ; et enfin assurer qu’il n’y aurait pas de poursuites contre les dirigeants locaux, régionaux, ou nationaux ayant participé aux manifestations.

Minute de silence

Par souci de transparence, ils ont aussi exigé que les débats, qui se sont tenus selon la volonté du gouvernement dans un lieu secret pour échapper aux pressions, soient retransmis publiquement. Ils ont donc fait installer un écran géant dans la Maison de la culture où l’ambiance est restée chaude tout au long des conversations. Le dialogue a mis face à face neuf dirigeants indigènes (dont une femme) et six représentants du gouvernement, dont le président et le ministre de l’Economie. A l’annonce de la levée du mouvement, la joie a éclaté franchement dans l'enceinte du bâtiment. Une minute de silence a été aussitôt observée pour les morts. Puis les orateurs qui se sont succédé sur la scène ont assuré qu’il fallait rester vigilant et qu’ils étaient prêts à se remobiliser si le gouvernement ne tenait pas parole. «Aujourd’hui nous célébrons, demain nous nettoyons les routes du pays», a annoncé sur Twitter la Conaie. Le mouvement indigène, qui par le passé a fait tomber trois présidents, a pour l’instant réussi son pari.

Par Anne Proenza Envoyée spéciale à Quito (publié le 14/10/2019)
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