Face aux multiples abus, Lyon lance sa « police du logement »
Lyon (Rhône).– Le bureau donnant sur un parc arboré de Vanessa Tursic, proche du quartier La Confluence en bord de Saône, n’a franchement rien d’un commissariat de police. Lancé par la Métropole de Lyon en juin dernier, le service qu’elle dirige est bien pourtant une sorte de « police du logement », même si l’expression lui fait lever un sourcil amusé. L’équipe métropolitaine de l’habitat (EMHA), composée de sept personnes, est chargée de mettre un peu d’ordre dans un marché du logement à bien des égards devenu fou.

« Nous nous occupons du suivi de l’encadrement des loyers, de la problématique de l’insalubrité des logements, de la vacance mais aussi des meublés de tourisme », résume la jeune femme.

« Notre question a été : comment donne-t-on un cadre à un marché complètement débridé ? », raconte Renaud Payre, vice-président de la Métropole chargé du logement.

Une des caractéristiques de la politique du logement en France est d’être très peu contrôlée, avec une étonnante habitude des pouvoirs publics à laisser piétiner les rares lois qui existent.

Confrontées à l’accroissement du nombre d’habitants qui ne peuvent plus se loger, de plus en plus de villes réfléchissent à la manière d’encadrer les dérives du marché.

« Le marché locatif lyonnais est le marché de région dont les prix touchent les prix parisiens », s’alarme le vice-président de la Métropole, qui décrit des classes d’école qui ferment en plein centre-ville, un signe que l’inflation des prix a commencé à en chasser les familles.

Dans un contexte d’extrême tension sur le marché locatif, l’équipe métropolitaine de l’habitat est chargée d’agir sur tous les leviers possibles pour améliorer l’offre locative.

Pour faire respecter la politique d’encadrement des loyers, expérimentée à Lyon depuis 2021, l’équipe épluche une centaine d’annonces par semaine sur les principales plateformes : Leboncoin, SeLoger, PAP… « On regarde si elles respectent le cadre légal, des mentions à faire figurer sur le loyer de référence, mais aussi la mention d’éventuels compléments de loyers », explique Vanessa Tursic, qui admet un traitement encore assez artisanal du sujet. En cas d’irrégularité, un courrier est envoyé à l’agence et au propriétaire pour qu’ils régularisent la situation.

Depuis quelques mois, l’EMHA observe une amélioration des annonces dans les agences, pas encore perceptible dans les annonces des particuliers.

    Les rapports locatifs sont tellement déséquilibrés que les locataires n’osent pas faire de signalement.

La Métropole cherche surtout à inciter les locataires à signaler les abus, ce qui est encore très loin d’être entré dans les mœurs. Grâce à un simulateur sur le site de la Métropole, ceux-ci peuvent vérifier que leur future location est bien dans les clous, en fonction de sa taille et de sa localisation. Et faire remonter tout dépassement des plafonds de loyer fixés par arrêté préfectoral.

« C’est la plus grande difficulté que nous rencontrons. Les rapports locatifs sont tellement déséquilibrés que les locataires n’osent pas faire de signalement. Notre travail consiste à les rassurer, on leur explique qu’ils sont dans leur droit, qu’on ne met pas un locataire à la rue comme ça », raconte Vanessa Tursic.

Pour amorcer le processus, le centre de contact métropolitain oriente par téléphone les locataires dans leurs démarches. La pédagogie vis-à-vis des propriétaires marchera aussi par la sanction. « Pour l’instant, on a juste six dossiers qui sont partis au civil », précise la responsable de l’EMHA, pour laquelle il est important que les locataires comprennent qu’ils peuvent faire valoir leurs droits en justice.

Concernant les problèmes d’insalubrité, le service travaille sur le repérage et le suivi des logements indécents grâce à un patient travail de remontée d’informations avec les habitants. La structure fait ensuite le lien entre les différents services de l’État concernés par le sujet.

Un « permis de louer » est expérimenté dans la ville de Saint-Priest, où se concentrent beaucoup de logements indignes. Tant que des travaux ne sont pas réalisés pour mettre aux normes le logement, celui-ci ne peut plus être mis en location.

Le service se veut aussi en pointe dans le repérage des marchands de sommeil et a renforcé ses liens avec le procureur pour accélérer les procédures contre ces bailleurs véreux. « À partir d’un signalement d’une habitante qui loue 9 m2 à un prix exorbitant, on tire le fil car c’est souvent tout un immeuble qui est concerné », rapporte Vanessa Tursic.

Une spéculation sur les petites surfaces

Son service recoupe aussi les fichiers à sa disposition pour voir si le propriétaire a d’autres biens, s’il est connu de l’administration fiscale, etc. L’objectif étant, le cas échéant, d’arriver à faire un signalement au procureur en se constituant partie civile.

« Nous voulons que les propriétaires sachent qu’ils peuvent être condamnés et qu’ils arrêtent d’agir en toute impunité », pointe-t-elle.

La Métropole réfléchit à mettre en place aussi un « permis de diviser » les logements.

Les petites surfaces étant les plus rentables à la location, de plus en plus de propriétaires de pavillons se mettent à les diviser en deux, voire en trois pour maximiser leurs profits.

« C’est souvent lié à de l’habitat indigne puisque tout cela est fait sans respecter les normes d’habitation », précise Renaud Payre, en rappelant que cette offre est aussi en total décalage avec les besoins de logement des familles.

Alors que la Métropole de Lyon a dénombré près de 10 000 logements vacants depuis plus de deux ans sur le territoire, l’EMHA mène un travail de terrain pour identifier ces biens et inciter les propriétaires à les remettre sur le marché à des prix abordables. Des aides à la réhabilitation des logements peuvent ainsi être proposées lorsque c’est ce qui freine les propriétaires.

Concernant les meublés de tourisme – de type Airbnb – qui retirent du marché locatif un nombre considérable de logements, la Métropole a adopté une mesure radicale pour freiner le développement exponentiel de ces locations de courte durée.

Dans l’hypercentre, tout changement d’usage pour devenir un meublé touristique doit s’accompagner de la mise en location d’un bien équivalent dans le même arrondissement, dans le même périmètre. Autant dire un net coup d’arrêt au développement de ce type de location, pour autant que la mesure soit effectivement respectée, ce à quoi veille l’équipe de Vanessa Tursic en étudiant les annonces et en vérifiant aussi que le seuil de 120 nuitées par an est bien respecté.

Là encore, un travail de fourmi, tant les abus sont massifs, mais qui a aussi pour but d’envoyer un signal aux bailleurs : au vu de la gravité de la crise du logement, l’ère du laisser-faire complet est terminée.

Par Lucie Delaporte (publié le 19/02/2023)
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