Grève chez GSK : comment les travailleurs ont fait plier le géant de Big Pharma
Le 7 juin dernier, la direction du groupe GSK annonce qu’elle va harmoniser les différents systèmes de primes qu’elle octroie à ses employés et ouvriers en Belgique, dans le but de les diminuer. Les syndicats décident de passer à l’action. Après 12 jours de lutte, ils obtiennent gain de cause. Retour sur une lutte gagnante.

Chaque année, employés et ouvriers de GSK reçoivent une prime dans le cadre de ce qu’on appelle la CCT 90, une convention collective de travail qui se négocie au sein de chaque entreprise pour la répartition d’une prime en fonction de plusieurs critères claires. C’est l’un des intérêts de la CCT 90 : que les patrons ne puissent pas donner uniquement des primes selon leur bon vouloir, mais suivant des critères objectifs, clairs, définis et négociés avec les organisations syndicales. Si les critères sont remplis, les travailleurs reçoivent collectivement la prime. C’est ce qui dérange le géant pharmaceutique. Qui a donc annoncé vouloir mettre un terme à l’application de la CCT 90, et entamer le processus pour donner une nouvelle réglementation pour les primes des employés et ouvriers, « à l’image de celle donnée aux cadres ».

Bras de fer entre GSK et ses travailleurs sur les primes : 1-0 pour les travailleurs à la mi-temps

L’intérêt de ce système pour GSK ? Les cadres ne peuvent pas contrôler si l’entreprise distribue honnêtement ses primes et ne peut contrôler les raisons d’une éventuelle diminution de la prime. Elle peut se contenter de dire : « Les résultats attendus ne sont pas rencontrés, désolé. » C’est exactement ce qu’il s’est passé cette année pour les cadres où, malgré les bons résultats financiers de l’entreprise (1,7 milliard de bénéfices, dont 1,6 milliard a été reversé en dividendes), les cadres ont vu leurs primes fortement réduites (de presque 1 000 euros d’après les organisations syndicales).

Dès le 8 juin, les travailleurs se mettent en grève. Après 24 heures d’arrêt complet de la part des ouvriers et employés, les délégations syndicales décident d’organiser une grève tournante : tous les bâtiments de production seront bloqués l’un après l’autre, ensuite le centre de distribution des produits GSK. Ce qui signifie concrètement qu’un ouvrier ne devra faire grève qu’un jour sur sa semaine pour que, collectivement, l’ensemble des travailleurs aient l’impact équivalent à un blocage d’une semaine complète.

Détermination et unité sur toute la ligne

« Le suivi de la grève était tel que nous n’avions finalement pas besoin de bloquer l’entrée du bâtiment. Et des équipes de secteurs voisins se mettaient également en grève par solidarité », explique un délégué syndical. Plusieurs équipes d’intérimaires et de CDD (contrats à durée déterminée) aussi ont fait grève, en solidarité, alors que la direction de GSK comptait justement sur eux pour produire à la place des CDI (contrats à durée indéterminée) en grève. De nombreux cadres, bien conscients qu’ils ont aussi intérêts à se battre pour changer leur système de prime, se sont joints au mouvement. L’unité des employés, des ouvriers et des cadres, l’unité des contrats « précaires » (intérimaires et CDD) avec les CDI, l’unité syndicale (les bâtiments étaient bloqués par les délégations ouvrières et employés, de la CSC et de la FGTB) : toute cette unité des travailleurs ensemble les a rendu plus forts. « Il est clair que si la moitié des travailleurs de tel bâtiment avait bossé et l’autre moitié pas, les produits auraient quand même été réalisés et les commandes auraient été livrées. Ce ne fut pas le cas, car tout le monde a marché ensemble », commente Robin Bruyère, spécialiste du secteur pour le PTB.

« Par ailleurs, la clé d’un tel mouvement c’est d’avoir un plan d’action clair et être déterminés à aller au bout », explique Robin Bruyère. « Les syndicats n’ont pas navigué à l’aveugle. Le délégué principal employé a expliqué dans la presse qu’ils auraient pu tenir encore trois semaines ainsi. Je le crois ! Ils savaient comment procéder avec leurs grèves tournantes qui rendait l’effort financier mineur pour les travailleurs, et ils savaient où ils allaient : jusqu’au bout. »

La victoire au bout du tunnel

Vendredi 18 juin, la direction du géant pharmaceutique annonce aux syndicats que finalement, elle veut bien discuter « des modalités de réinstauration de la CCT 90 », c’est à dire de réinstaurer les primes. Une première victoire confirmée par les négociations de la semaine suivante. Finalement, un projet est validé par les délégations syndicales et proposé aux travailleurs : ceux-ci valident la nouvelle convention collective à 97 %. « C’est une magnifique victoire pour les syndicats, et un très bon signal pour l’ensemble des travailleurs du pays qui voient leurs condition de travail ou leur pouvoir d’achat attaqués par leur patron. Le signal, c’est qu’avec une délégation déterminée, un plan de bataille sérieux et l’unité des différents statuts, on peut faire plier même la plus grosse multinationale installée en Belgique », conclut Robin Bruyère.

Par Quentin Vanbaelen (publié le 30/06/2021)
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