L’encadrement des loyers séduit de plus en plus de villes
À Paris, ville pionnière sur l’encadrement des loyers, on vit cela comme une petite révolution. Depuis début janvier, la ville a obtenu le pouvoir de sanctionner directement les propriétaires qui ne respectent pas les plafonds de loyer fixés, en fonction du quartier et du type de logement, par la préfecture.

Un dispositif mis en place pour freiner les abus les plus manifestes dans les villes où le décalage massif entre l’offre et la demande a engendré des prix à la location parfois délirants.

Jusque-là, le contrôle de l’encadrement des loyers incombait à la préfecture, qui n’avait marqué qu’une implication relative sur le sujet puisque, selon l’Observatoire des loyers de l’agglomération parisienne (Olap), près de 30 % des annonces parisiennes dépassent toujours les seuils autorisés près de quatre ans après la mise en place de la mesure.

« En un mois, il y a eu 142 contraventions pour des dépassements de loyer signalés sur la plateforme. Alors qu’il n’y en avait eu que 120 sur les trois dernières années », se réjouit Ian Brossat, adjoint au maire chargé du logement, qui table sur une montée en charge des sanctions à mesure que les locataires prendront l’habitude de signaler les abus.

Il mise aussi sur le caractère dissuasif des amendes pour freiner l’avidité de certains propriétaires : « Les amendes, en cas de non-régularisation, peuvent aller jusqu’à 5 000 euros pour une personne physique et 15 000 euros pour une personne morale. Le propriétaire doit rembourser le trop-perçu, qui peut s’élever à plusieurs milliers d’euros. »

L’encadrement des loyers revient de loin. Quand Cécile Duflot a lancé le dispositif en 2014, la ministre écologiste avait été accusée des pires maux, les professionnels de l’immobilier brandissant le spectre d’un assèchement du marché locatif et menant un intense lobbying pour torpiller cette politique.

Abrogé en 2017 par Manuel Valls, l’encadrement des loyers a finalement été réintroduit dans la loi ELAN, à titre expérimental, pour une période de cinq ans, à Paris et Lille d’abord, en 2019 et 2020.

Depuis, dix-huit communes de Seine-Saint-Denis, Bordeaux, Montpellier et Lyon ont rejoint le dispositif. Et Marseille doit bientôt rejoindre la liste, alors que Rennes, qui a connu une augmentation de près de 50 % de ses loyers ces cinq dernières années, a annoncé qu’il souhaitait aussi s’y mettre.

Dans ces « zones tendues », la préfecture fixe, en fonction des caractéristiques du logement et du quartier, un prix au mètre carré de référence, que les propriétaires ne doivent pas dépasser.

Une politique qui ne s’attaque donc qu’aux abus les plus flagrants dans des villes où les prix sont souvent devenus aberrants mais à laquelle sont toujours opposées les associations de professionnels de l’immobilier comme la Fnaim.

« Quand nous avons choisi d’encadrer les loyers à notre arrivé à la Métropole en 2020, nous l’avons fait aussi contre l’opposition macroniste et contre la droite », rappelle Renaud Payre, vice-président de la Métropole de Lyon chargé du logement.

Confronté à un envol des prix depuis dix ans dans le centre-ville de Lyon et au spectacle de familles qui ne peuvent plus se loger, la Métropole a souhaité mettre en place l’encadrement des loyers « pour ne pas atteindre la situation de Paris », la capitale ayant perdu, cette année encore, près de 120 000 habitants.

Des « compléments de loyers » très peu encadrés

À Marseille, la ville a dû batailler longtemps avec la Métropole, dirigée par Martine Vassal (Les Républicains), pour qu’elle soutienne finalement sa candidature pour entrer dans l’expérimentation. La Métropole a finalement accepté, à condition que l’encadrement des loyers ne s’applique qu’à Marseille et pas aux autres communes – comme la bourgeoise Aix-en-Provence et ses faramineux loyers.

Compte-tenu de cette spécificité administrative, le dossier marseillais est à l’étude au ministère en vue d’une « sécurisation juridique ». « Nous espérons des décisions avant l’été », affirme Patrick Amico, adjoint au maire chargé de la politique du logement.

Pour lui, il y a urgence, tant la situation est devenue explosive dans le centre-ville, avec des loyers qui ont bondi en quelques années. « Il y a une telle tension sur le marché du logement que nous sommes preneurs d’un dispositif qui refroidisse autant que possible ces dérives, notamment sur le centre-ville », explique-t-il.

Les petites surfaces d’une à deux pièces concentrent les plus importantes dérives, même si, comme le souligne Renaud Payre, c’est aussi sur ces surfaces que l’encadrement des loyers commence à récolter ses fruits, avec des baisses significatives sur certains logement.

Pour contourner le dispositif, de plus en plus de propriétaires ont néanmoins trouvé la parade en appliquant des « compléments de loyers » qui peuvent être normalement demandés si le logement présente des caractéristiques « exceptionnelles », comme une vue sur un monument, un duplex, etc.

Dans les faits, ces « compléments » sont très peu encadrés et seuls les logements indignes ont été récemment exclus de ces sur-loyers (humidité, passoires thermiques) par un décret.

« Si vous avez une vue sur Fourvière de la fenêtre des toilettes, vous pouvez demander un complément de loyer », grince Renaud Payre. Les villes qui expérimentent l’encadrement des loyers ont toutes identifié la difficulté et saisi le ministre du logement à ce sujet.

Un tour dans quelques agences immobilières du centre de Lyon donne la mesure des contournements. Ici une annonce promet « un superbe studio rénové » de 19 m2 pour 600 euros par mois, soit un dépassement de 200 euros du loyer autorisé ! Un complément de loyer demandé parce qu’« il est au calme et bien aménagé », nous précise l’agent immobilier. « Vous savez, ça ne chipote pas, vu la demande ! », se félicite-t-il.

Dans les autres agences visitées, la mention du plafond légal, parfois allègrement dépassé, apparaît en tout petit en bas de l’annonce, dans une police de caractères à peine lisible. D’où la nécessité de contrôler cette politique qui, sinon, risque de manquer sa cible.

Pour Ian Brossat, la mesure, qui ne peut suffire, à elle seule, à résoudre la cherté du logement, relève aussi en partie de la bataille culturelle. « On verra à la fin de l’expérimentation ce qu’on peut améliorer du dispositif, mais on gagne des points au fur et à mesure. Cela a brisé un tabou puisque les propriétaires ont compris qu’on ne faisait plus ce qu’on voulait avec son logement. Rien que cela, c’est une avancée majeure. »

Par Lucie Delaporte (publié le 19/02/2023)
A lire sur le site Mediapart