Le Sénégal lance un projet de forêts nourricières et médicinales
A quelques encablures d’une zone industrielle d’où s’échappent des volutes de fumée, Belvédère se démarque par ses baobabs et ses champs verts nouvellement plantés. « Avant, il n’y avait rien ici », commente Djibril Sall, le chef de ce village situé à une quarantaine de kilomètres de Dakar. « Nous avons peu de moyens. Mais grâce au “tolou keur” [« champ de la maison », en wolof], nous n’avons plus besoin de nous déplacer chercher des fruits, des légumes ou des œufs au marché. Nous avons maintenant tout sur place, en bas de chez nous », se félicite le vieux sage dans son boubou bleu.

Le projet Tolou Keur vient d’être lancé par l’Agence sénégalaise de la reforestation et de la grande muraille verte (ASERGMV), présidée par le militant écologiste et ancien ministre de l’environnement Haïdar El Ali. Trois projets pilotes ont déjà été inaugurés près de Dakar, Fatick et Kédougou. Alors que la « grande muraille verte » du Sahel, dans le nord du pays, a du mal à atteindre ses objectifs de lutte contre la désertification, Tolou Keur se présente comme une solution de reforestation du Sénégal. Encore faut-il que les populations locales se mobilisent.

Mare à poissons et panneaux solaires

A Belvédère, l’objectif est de planter collectivement, avec la soixantaine de villageois, une forêt nourricière et médicinale de 5 000 m2 à quelques pas de leurs maisons. Autour d’un petit poulailler central construit à partir de matériaux locaux et recyclés, sont plantés, en cercle, des arbres fruitiers, une soixantaine de légumes variés et des plantes médicinales comme l’artemisia ou l’aloe vera. « Les arbres les plus résistants, comme les acacias et les anacardiers, sont plantés à l’extérieur. Et plus on s’approche du centre du cercle, plus on trouve les plantes médicinales fragiles qui ont de grands besoins hydriques. Nous formons ainsi un microclimat qui permet de diminuer la consommation d’eau », explique Aly Ndiaye, maître d’œuvre du projet, qui espère que les arbres plantés permettront aussi de lutter contre l’érosion.

Ce modèle peut être construit en dix jours, pour un investissement très faible. Aly Ndiaye a déjà participé au développement de ce concept à travers le programme de Production agroécologique intégrée et durable (PAIS) au Brésil, où plus de 10 000 unités de production ont été mises en place depuis 2005. Ce système permet d’accompagner les petits producteurs ruraux vers une agriculture durable qui leur permette d’augmenter l’offre de nourriture ainsi que leurs revenus grâce à la vente des excédents. « Sur une surface d’un demi-hectare, la productivité d’une culture diversifiée est beaucoup plus importante que celle d’une agriculture intensive. Nous récoltons en moyenne une tonne mensuelle d’aliments diversifiés », explique M. Ndiaye.

Face à la crise du coronavirus, l’ASERGMV a voulu aider Belvédère, village sans eau ni électricité, à devenir plus autonome, de façon écologique. Le projet global inclut donc aussi une petite mare avec des poissons et des panneaux solaires pour pomper l’eau des nappes phréatiques afin d’irriguer les plantations. « Nous sommes ici pour apporter de la souveraineté et de l’autosuffisance alimentaire, mais aussi médicinale, car les “tolou keur” deviennent de véritables centres de santé », assure Karine Fakhoury, directrice des écovillages et des filières vertes de l’ASERGMV.

« Une véritable banque de semences »

Et le projet va plus loin. « Nous travaillons aussi à la régénération naturelle du tissu forestier, car à l’avenir cette forêt va devenir une véritable banque de semences », continue cette Libanaise née au Sénégal, militante pour l’environnement qui se bat pour la multiplication des pépinières dans le pays. Au total, une centaine d’arbres ont été plantés autour de ce « tolou keur » de Belvédère, au plus grand plaisir de Djibril Sall : « Nous manquons de pluie car tous les arbres ont été rasés. Mais si on replante des arbres, les pluies vont revenir », espère le chef du village.

D’ici à décembre, le programme Tolou Keur espère former une centaine de formateurs afin de développer un millier de sites similaires à travers le Sénégal en 2021. A terme, l’objectif est de créer 5 000 emplois directs et 10 000 emplois indirects. Et surtout d’implanter des « tolou keur » dans le nord du pays, au cœur de la grande muraille verte. Pour y parvenir, l’initiative manque encore de financements et appelle aux investissements de partenaires publics ou privés.

Par Théa Ollivier (publié le 21/08/2020)
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