Lutte pour les forêts : « Ce vote européen est un premier pas important »
Le Parlement européen a voté le 13 septembre un projet de règlement contre la déforestation importée. Ce texte pourrait contribuer à freiner la destruction des forêts tropicales, selon l’eurodéputée écologiste Marie Toussaint.

Le moment est « historique », selon l’association de défense des forêts Canopée forêts vivantes. Mardi 13 septembre, le Parlement européen a voté un projet de règlement contre la déforestation importée (avec 453 voix pour, 57 contre et 123 abstentions). En gestation depuis plus d’un an, ce texte doit empêcher aux marchandises produites au détriment de la forêt d’entrer sur le marché européen. Une mission cruciale : au cours des trente dernières années, 420 millions d’hectares de forêts — soit plus que la surface de l’Union européenne — ont été happés par les tronçonneuses.

Pour Marie Toussaint, députée européenne élue sur la liste Europe Écologie-Les Verts (EELV), ce texte est un bon signe. Juriste de formation, elle est à l’origine de l’action en justice contre l’État français connue sous le nom de L’Affaire du siècle.

Reporterre — Pourquoi ce règlement est-il une avancée ?

Marie Toussaint — L’Union européenne est l’un des plus grands importateurs de déforestation. Elle était responsable de 16 % de la déforestation mondiale l’an passé, selon le WWF. Cette part a eu tendance à s’accroître au cours des dernières années. Il fallait vraiment réagir.

Concrètement, ce règlement interdit de vendre sur le marché intérieur européen des produits issus de la déforestation, ou liés à des violations de droits humains. Toutes les entreprises qui placent des produits sur le marché européen sont concernées. À une vingtaine de voix près [sur 705 députés], nous avons réussi à intégrer les acteurs financiers aux secteurs visés. Les banques, les assurances et les fonds d’investissement seront eux aussi concernés par ces obligations. C’est une avancée importante : grâce à un rapport de Global Witness, on sait que BNP Paribas, par exemple, finance à hauteur de 5 milliards d’euros des entreprises liées à la déforestation et aux violations des droits humains.

La Commission européenne proposait de viser six produits : le bétail, l’huile de palme, le soja, le café, le cacao et le bois. Le Parlement a réussi à en ajouter d’autres : le caoutchouc, le maïs, la volaille, les chèvres, les porcs, les moutons, le charbon de bois et les produits en papier imprimé.

L’idée selon laquelle la main libre du marché répondrait à tous les maux du monde est en train de perdre de la vitesse. On réalise — assez vite ou pas, c’est une autre question — que l’on a besoin de normes pour réguler le marché, garantir le respect des droits humains et protéger la planète. Avoir une législation qui impose des normes sur ces produits est un premier pas important.

Identifiez-vous malgré tout des failles dans ce texte ?

Nous n’avons pas tout gagné. Du côté des écolos, nous voulions une liste de produits non exhaustive, qui aurait pu être élargie au fur et à mesure. On aurait pu ne pas se cantonner à une simple liste de denrées, et considérer que l’ensemble des produits accessibles sur le marché intérieur européen devrait être produit sans déforestation. Cela n’a pas été retenu. Nous n’avons pas non plus réussi à inclure les produits fossiles, qui menacent les tourbières de la République démocratique du Congo, à la liste des produits concernés.

Le texte ne protège pas non plus complètement les autres écosystèmes fragiles, comme le Cerrado, menacé par l’exploitation du soja et du bétail. La Commission européenne proposait une définition stricte de ce qu’est une forêt, avec des critères précis sur la taille et la densité des arbres. Nous avons réussi à l’élargir à d’autres types de terres boisées, qui recouvrent des arbres un peu plus petits et espacés, mais pas à tous. Encore 18 % du Cerrado ne sera pas protégé par le règlement, et de nombreuses savanes et prairies resteront menacées.

Avant que ce texte ne soit définitivement validé, des discussions doivent encore avoir lieu avec le conseil des ministres de l’Environnement et la commission Environnement du Parlement européen. Le Conseil des ministres défend des positions moins ambitieuses. Le texte risque-t-il d’être affaibli ?

C’est un risque. Le Conseil est par exemple moins ouvert à l’intégration du secteur financier aux secteurs concernés. Il a également conservé la liste de six produits proposés par la Commission, et ne souhaite pas l’élargir.

    « La bataille n’est pas terminée »

Il nous faut réussir à préserver au maximum, durant les négociations avec les deux autres institutions, ce que nous avons déjà réussi à intégrer au texte du Parlement. On sait que l’un des points de négociation les plus durs sera la question de la dégradation des forêts. Les pays nordiques exploitent leurs forêts différemment du reste de l’Union européenne, et ne souhaitent pas que les produits qui contribuent à la dégradation des forêts soient concernés par ce texte.

Nous aimerions également intégrer les produits issus de l’extraction minière à la liste des produits concernés. Nous avons réussi à l’inclure dans une clause de révision, mais ce n’est pas encore gagné. La protection des droits humains est aussi un point fort de la position du Parlement européen, qu’il nous faudra défendre devant les États membres et la Commission.

Les études sur l’état désastreux des forêts mondiales se multiplient. Un récent rapport explique par exemple qu’à cause de la déforestation, certaines parties de l’Amazonie commencent déjà à se transformer en savane. Ce texte est-il suffisant pour freiner la catastrophe ?

Oui. Je vais prendre un exemple. Notre Affaire à tous et d’autres associations ont porté plainte contre le groupe Casino, en 2020, pour son rôle dans la déforestation et l’accaparement de terres des peuples autochtones au Brésil et en Colombie. Le texte que nous avons voté aujourd’hui interdirait à Casino de vendre les produits issus de ces pratiques. Ça a des effets extrêmement concrets sur ce qui est commercialisé aujourd’hui.

On est prompts à dire du mal de l’Union européenne. Il est vrai qu’elle a parfois ses faiblesses, son opacité, son incapacité parfois à agir, sa préoccupation libérale et productiviste. Mais d’autres fois, il y a des textes comme celui-là qui redonnent espoir et confiance.

Grâce à ce texte, la part de l’Union européenne dans la déforestation mondiale devrait se réduire de beaucoup. Bien évidemment, ça devra être suivi de discussions avec les États tiers. Nous avons également besoin d’un accord mondial sur la biodiversité, d’un traité contraignant au niveau international sur le devoir de vigilance des entreprises, de la reconnaissance de l’écocide, de la reconnaissance des droits des forêts… La bataille n’est pas terminée. On va continuer de la mener. Mais ce texte va avoir des effets directs et importants sur la déforestation mondiale.

Par Hortense Chauvin (publié le 14/09/2022)
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