Pour financer la transition climatique, l’Espagne envisage de taxer les ultrariches
Taxer de 1,5 à 3 % les ultrariches pour financer la lutte contre le changement climatique dans les pays du Sud : l’Espagne veut faire avancer l’idée en Europe.

Séville (Espagne), correspondance

Taxer les ultrariches pour financer la transition ? Pourquoi pas, répond l’Espagne. Le ministère pour la Transition écologique et du défi démographique (Miteco) a laissé entendre qu’il envisage de mettre l’idée sur la table de l’Union européenne (UE). Et ce, dès la COP28, qui se tiendra fin 2023 à Dubaï. « Le Miteco analysera cette proposition avec beaucoup d’intérêt, d’autant plus que l’Espagne présidera l’UE durant la prochaine COP28 », déclare le ministère, contacté par Reporterre. Si l’idée était actée, cela pourrait marquer un tournant dans la lutte contre le changement climatique.

Cette proposition émane d’un rapport sur les inégalités climatiques, publié fin janvier par le Laboratoire des inégalités mondiales, institut de recherche rattaché à l’École d’économie de Paris et à l’université de Californie à Berkeley. Les auteurs de l’étude, Lucas Chancel, Philipp Bothe et Tancrède Voituriez, suggèrent de « taxer la richesse extrême pour financer l’adaptation au changement climatique » du Sud global.

Selon eux, un impôt pour les 65 000 adultes possédant plus de 100 millions de dollars (0,001 % des adultes dans le monde) permettrait de collecter près de 300 milliards de dollars par an. Le prélèvement débuterait à 1,5 % de leur patrimoine, et monterait jusqu’à 3 % pour les fortunes supérieures ou égales à 100 milliards de dollars.

Mieux : s’il s’appliquait au 0,1 % des plus riches de la planète, ceux qui possèdent plus de 5 millions de dollars, cet impôt rapporterait près de 1 100 milliards par an. Pas si loin des 1 800 milliards nécessaires pour couvrir la totalité des besoins des pays aux revenus faibles et intermédiaires, en dehors de la Chine, pour effectuer leur transition climatique.

Le financement des politiques climatiques des pays en voie de développement est un point de blocage récurrent dans les négociations internationales sur le climat. Historiquement, ils ont une responsabilité très limitée dans l’emballement des thermomètres, contrairement aux pays développés. Ils réclament donc un appui de la part des pays riches, qui freinent des quatre fers à l’heure de desserrer le cordon de leurs bourses.

Une idée « novatrice » pour faire avancer la diplomatie climatique

Les Conférences des parties (COP) pour le climat sont le principal forum de la diplomatie climatique dans le monde. Les annonces qui y sont faites et les débats qui s’y tiennent jouissent d’une forte exposition médiatique et peuvent avoir une influence politique significative. Lors de la dernière édition, en novembre dernier, a été actée la création d’un fonds abondé par les pays développés pour compenser les pertes et dommages dus aux catastrophes climatiques dans les pays pauvres. D’ici 2030, les besoins en la matière sont estimés entre 290 et 580 milliards de dollars par an.

L’Union européenne est un bloc politique et économique majeur, dont la voix porte dans la diplomatie climatique. Ses décisions peuvent générer un effet d’entraînement parmi les autres pays développés. L’Espagne doit prendre la présidence du Conseil de l’UE durant la deuxième moitié de l’année. Ce poste, bien qu’il offre une marge de manœuvre limitée, permet de mettre certaines propositions sur la table et d’ouvrir un débat politique.

« Nous considérons que cette étude est solide et concluante, estime encore le ministère espagnol pour la Transition écologique. [Elle propose] une idée intéressante et novatrice, en ligne avec les propositions les plus novatrices. Mais il faudra réfléchir à la manière de résoudre les difficultés liées à son application. »

« Il est peu probable qu’un accord global sur la taxation de la richesse extrême pour financer [la lutte contre le changement climatique] soit atteint dans un futur très proche, concède le rapport lui-même. Mais ces mesures peuvent être initiées par un sous-ensemble de pays. » De plus, elles n’auraient « aucun coût pour 99,99 % de la population », dans le cas de la proposition de base. Dans l’hypothèse la plus ambitieuse, elle serait toujours indolore pour 99,9 % des citoyens.

Par Alban Elkaïm (publié le 22/02/2023)
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