Un juge flingue l’industrie du tabac
Le contenu d’un jugement du tribunal de première instance de Namur (4e chambre civile fiscale) vaut le détour… L’affaire oppose la société Lagardère Services Travel Retail Benelux (anciennement dénommée Press Shop) à la province de Namur. En cause : une taxe annuelle sur les débits de tabac adoptée fin 2008 par le conseil provincial. La société privée en question approvisionne les exploitants de ces points de vente de tabac et récolte les produits de leurs ventes après déduction de commissions. Elle conteste la taxation provinciale.

Jusque-là, ce litige de nature fiscale reste dans les normes… Mais le tribunal, le 23 octobre dernier, a estimé irrecevable l’action en justice de l’entreprise. Pourquoi ? Car le juge affirme que la démarche est "tout sauf légitime" en raison des dangers que l’habitude de fumer des cigarettes fait courir à la population. "La question se pose donc de savoir si l’on peut considérer comme légitime dans le chef d’un justiciable (en l’espèce une société commerciale belge exploitant des points de vente sur le territoire de la province de Namur) le fait de formuler une demande en Justice en rapport direct avec la vente de produits à ce point nuisibles qu’ils devraient, en saine logique, être prohibés" , détaille en effet le jugement en question.

"Lavage de cerveau"

Le juge se livre ensuite à une véritable attaque en règle contre le lobby du tabac dont n’auraient pas à rougir les plus farouches opposants aux cigarettiers. C’est presque surréaliste, le juge parle carrément d’un lavage de cerveau : "L’usage du tabac à fumer a d’abord été un phénomène marginal : calqué sur les usages de peuplades primitives qui étaient incapables d’en déceler les dangers, on lui attribuait naïvement des vertus médicinales. C’est essentiellement à un lavage de cerveau collectif, développé particulièrement au XXe siècle par les producteurs de tabacs manufacturés, que l’on a dû sa banalisation et son extension à une partie importante des populations occidentales."

"Attitude complaisante"

Ce n’est pas tout, le tribunal de première instance de Namur "allume" également les pouvoirs publics : " Cette banalisation s’est aussi installée par l’attitude des pouvoirs publics, qui ont vu dans la production, le commerce et la consommation de tabac à fumer une source de rentrées fiscales." Pire, "la persistance du tabagisme, nonobstant la reconnaissance officielle de son extrême nocivité, est due à l’attitude complaisante des gouvernants et des assemblées législatives " .

En outre, le tribunal s’en prend également à la taxe provinciale elle-même qui, à ses yeux, ne tient pas la route non plus pour les mêmes raisons. "A quoi sert-il de développer des politiques de la santé qui, soit au niveau de la prévention, soit au niveau des soins de santé et de l’indemnisation des invalidités, engloutissent une part considérable des revenus fiscaux et des cotisations de sécurité sociale, si l’on entretient par ailleurs, sans la combattre réellement, l’une des causes principales des maladies graves et des décès évitables rencontrés dans la population ? Le tribunal estime n’avoir aucune obligation d’avaliser à son tour des actes qui relèvent de l’absurde et nuisant gravement à la société. Il (le tribunal, NdlR) considère qu’il est de son devoir d’user du pouvoir qui lui est confié pour faire obstacle à la poursuite de l’activité des "cigarettiers"."

Bref, vu l’ensemble de ces griefs soulevés dans le jugement, le tribunal a renoncé à statuer et a demandé la réouverture de débats contradictoires entre les deux parties lors d’une audience fixée à fin décembre.

Un article de Frédéric Chardon
Lire sur le site de lalibre.be (02/11/2013)