02 Nov 2014
A la suite du premier article consacré à la question du droit de grève en Allemagne, Terrains de Luttes publie une nouvelle traduction, tirée du numéro de juillet du bulletin Netzwerk-Info Gewerkschaftslinke n°51, qui se fait l’écho d’un premier recul du gouvernement allemand, essentiellement pour des questions juridiques.
En effet, l’unicité de la convention collective n’a été remise en cause qu’en 2010, suite à un arrêt de la Cour fédérale du travail qui a reconnu le principe de la pluralité syndicale au sein de l’entreprise. Cet arrêt a mis fin de facto au quasi-monopole des syndicats du DGB[1] dans le cadre des négociations d’entreprise et de branche, reconnaissant la possibilité pour d’autres syndicats de faire grève et de négocier d’autres conventions collectives. Ce principe faisant aujourd’hui jurisprudence, le projet gouvernemental risque fort d’être retoqué, ce qui explique cette reculade provisoire.
Pour autant, les grèves menées par les syndicats professionnels GDL (conducteurs de trains) en 2010, et Cockpit (pilotes de ligne) en 2014, et qui ont entraîné de fortes perturbations économiques par un blocage de l’activité ferroviaire ou aéroportuaire, ont fortement marqué les esprits patronaux, qui ne sont pas prêts de désarmer. Les restrictions existantes ne suffisant plus à empêcher l’émergence de grèves dynamiques, il s’agit de les renforcer pour rendre le surgissement de telles luttes collectives de moins en moins probables.
Et la grève d’avertissement lancée par le syndicat des conducteurs GDL le 1er septembre dernier semble renforcer la détermination du patronat et du gouvernement. La couverture médiatique, parlant par exemple de chaos dans les gares (comme ce titre du Frankfurter Rundschau), prépare le terrain dans ce sens – ce qui rappellera à nos lecteurs et lectrices la façon dont les médias français ont couvert la dernière grève à la SNCF !
Nous avons traduit l’appel du collectif unitaire « Pas touche au droit de grève ». Pour le consulter, cliquez ici. Il ne faut pas hésiter à faire circuler largement ce document pour faire connaître les mobilisations et les débats en cours en Allemagne, et contrecarrer la propagande qui propose comme seul avenir au syndicalisme français une cogestion apaisée des intérêts capitalistes.
La loi sur la convention collective unique repoussée… pour le moment
Depuis des années, les organisations patronales poussent pour limiter le droit de grève. Pour mieux dissimuler leur offensive, elles présentent cela sous le libellé « convention collective unique ». Selon ce principe, seules les conventions collectives signées par le syndicat organisant la majorité des salariés de l’entreprise s’appliqueraient. Ce sont là les grandes lignes de la nouvelle loi qui a déjà reçu l’aval des ministères du Travail, de la Justice et de l’Intérieur. La consultation du cabinet[2] prévue pour début juillet a été annulée au dernier moment. Cependant, l’attaque contre le droit de grève n’est pas abandonnée, elle est seulement reportée.
Une constellation politique inhabituelle
Ce sont des constellations politiques inhabituelles qui jusqu’à présent ont bloqué toute loi sur « l’unicité des conventions collectives ». Au sein du gouvernement précédent, ce sont précisément les libéraux qui ont tout fait pour freiner le projet. Aujourd’hui, d’après ce qui se raconte, la résistance viendrait en premier lieu de la CDU. Cela tient tout d’abord à sa proximité avec certains syndicats professionnels, comme l’organisation de médecins Marburger Bund, dont le président Rudolf Henke est aussi un député de la CDU. Mais joue également la crainte de subir une défaite devant le conseil constitutionnel fédéral. Ce qui apparaît probable en cas de mise en œuvre des grandes lignes actuelles. Car, celles-ci ne prévoient pas seulement qu’en cas de doute au sein d’une entreprise entre deux conventions collectives, ce soit celle signée par le syndicat dit majoritaire qui s’applique. Mais il est aussi explicitement prévu que l’obligation de paix sociale – en clair, l’interdiction d’appeler les salariés à des mesures de lutte de classe – s’imposerait également au syndicat minoritaire.
Résistance au sein des syndicats
Ce qui a été décisif pour contraindre le gouvernement à reculer provisoirement, c’est la résistance au sein du DGB. A la suite de nombreuses interventions critiques, en particulier au sein de ver.di[3], la confédération a mis fin au soutien qu’elle apportait auparavant à une telle initiative. La résolution du congrès fédéral du DGB, rédigée au mois de mai, bien que se ménageant des échappatoires, condamne cependant dans le principe toute restriction apportée au droit de grève.
La conférence « Pas touche au droit de grève »
A la mi-juin, le collectif unitaire « Pas touche au droit de grève » a organisé une conférence contre les plans de la grande coalition et a ainsi renforcé la pression contre la tentative du gouvernement de dégrader davantage le droit de grève. De nombreux militants syndicaux de différentes régions de la république fédérale étaient présents. Depuis 2011, des syndicalistes, qui ont par ailleurs des orientations différentes, travaillent ensemble au sein du collectif unitaire « Bas les pattes du droit de grève – pour une liberté d’action syndicale totale ». A cette époque, DGB et BDA[4] avaient pris une initiative commune pour inscrire dans la loi le principe de la convention collective unique. Si aujourd’hui, la direction du DGB a été obligée de retirer sa participation à cause de la résistance dans les syndicats, en particulier dans ver.di, on le doit à l’activité de ce collectif unitaire.
La conférence de juin a clairement montré qu’il y a encore de grands besoins d’éclaircissements au sein des syndicats et que de nombreux collègues n’ont pas pris la mesure du danger que ce projet législatif fait courir aux capacités d’action des syndicats. A côté des discussions et des résolutions dans les comités syndicaux, il y a besoin d’actions syndicales contre ce projet. La résolution du congrès fédéral du DGB peut être utilisée pour exiger la mise en place de telles actions.
Dès que la proposition de loi sera soumise à examen – les militants du collectif s’attendent à ce que cela se produise à l’automne -, des actions publiques doivent être organisées.
Traduit et annoté par Henri Clément
[1] Le Deutscher Gewerkschaftsbund Deutschlands (DGB) est la grande confédération générale des syndicats, avec 6,2 millions de membres, reposant sur le principe du syndicalisme d’industrie (Einheitsgewerkschaft – syndicat unitaire) et qui – officiellement – ne suit pas une ligne politique spécifique mais qui en réalité suit la ligne du SPD (social-libéral). A côté il existe plusieurs petits syndicats, qui, dans leur majorité organisent des secteurs professionnels.
[2] Il s’agit de l’équivalent allemand du passage devant le conseil des ministres avant transmission de la proposition de loi au parlement.
[3] Vereinte Diensleistungsgewerkschaft (ver.di), fédération du commerce et des services, est membre de la confédération DGB.
[4] Bundesvereinigung deutscher Arbeitgeberverbände (BDA), l’Union Fédérale des organisations patronales allemandes, équivalent du Medef.
Par Henri Clément (08/09/14)
A lire sur le site Terrains de Luttes
En effet, l’unicité de la convention collective n’a été remise en cause qu’en 2010, suite à un arrêt de la Cour fédérale du travail qui a reconnu le principe de la pluralité syndicale au sein de l’entreprise. Cet arrêt a mis fin de facto au quasi-monopole des syndicats du DGB[1] dans le cadre des négociations d’entreprise et de branche, reconnaissant la possibilité pour d’autres syndicats de faire grève et de négocier d’autres conventions collectives. Ce principe faisant aujourd’hui jurisprudence, le projet gouvernemental risque fort d’être retoqué, ce qui explique cette reculade provisoire.
Pour autant, les grèves menées par les syndicats professionnels GDL (conducteurs de trains) en 2010, et Cockpit (pilotes de ligne) en 2014, et qui ont entraîné de fortes perturbations économiques par un blocage de l’activité ferroviaire ou aéroportuaire, ont fortement marqué les esprits patronaux, qui ne sont pas prêts de désarmer. Les restrictions existantes ne suffisant plus à empêcher l’émergence de grèves dynamiques, il s’agit de les renforcer pour rendre le surgissement de telles luttes collectives de moins en moins probables.
Et la grève d’avertissement lancée par le syndicat des conducteurs GDL le 1er septembre dernier semble renforcer la détermination du patronat et du gouvernement. La couverture médiatique, parlant par exemple de chaos dans les gares (comme ce titre du Frankfurter Rundschau), prépare le terrain dans ce sens – ce qui rappellera à nos lecteurs et lectrices la façon dont les médias français ont couvert la dernière grève à la SNCF !
Nous avons traduit l’appel du collectif unitaire « Pas touche au droit de grève ». Pour le consulter, cliquez ici. Il ne faut pas hésiter à faire circuler largement ce document pour faire connaître les mobilisations et les débats en cours en Allemagne, et contrecarrer la propagande qui propose comme seul avenir au syndicalisme français une cogestion apaisée des intérêts capitalistes.
La loi sur la convention collective unique repoussée… pour le moment
Depuis des années, les organisations patronales poussent pour limiter le droit de grève. Pour mieux dissimuler leur offensive, elles présentent cela sous le libellé « convention collective unique ». Selon ce principe, seules les conventions collectives signées par le syndicat organisant la majorité des salariés de l’entreprise s’appliqueraient. Ce sont là les grandes lignes de la nouvelle loi qui a déjà reçu l’aval des ministères du Travail, de la Justice et de l’Intérieur. La consultation du cabinet[2] prévue pour début juillet a été annulée au dernier moment. Cependant, l’attaque contre le droit de grève n’est pas abandonnée, elle est seulement reportée.
Une constellation politique inhabituelle
Ce sont des constellations politiques inhabituelles qui jusqu’à présent ont bloqué toute loi sur « l’unicité des conventions collectives ». Au sein du gouvernement précédent, ce sont précisément les libéraux qui ont tout fait pour freiner le projet. Aujourd’hui, d’après ce qui se raconte, la résistance viendrait en premier lieu de la CDU. Cela tient tout d’abord à sa proximité avec certains syndicats professionnels, comme l’organisation de médecins Marburger Bund, dont le président Rudolf Henke est aussi un député de la CDU. Mais joue également la crainte de subir une défaite devant le conseil constitutionnel fédéral. Ce qui apparaît probable en cas de mise en œuvre des grandes lignes actuelles. Car, celles-ci ne prévoient pas seulement qu’en cas de doute au sein d’une entreprise entre deux conventions collectives, ce soit celle signée par le syndicat dit majoritaire qui s’applique. Mais il est aussi explicitement prévu que l’obligation de paix sociale – en clair, l’interdiction d’appeler les salariés à des mesures de lutte de classe – s’imposerait également au syndicat minoritaire.
Résistance au sein des syndicats
Ce qui a été décisif pour contraindre le gouvernement à reculer provisoirement, c’est la résistance au sein du DGB. A la suite de nombreuses interventions critiques, en particulier au sein de ver.di[3], la confédération a mis fin au soutien qu’elle apportait auparavant à une telle initiative. La résolution du congrès fédéral du DGB, rédigée au mois de mai, bien que se ménageant des échappatoires, condamne cependant dans le principe toute restriction apportée au droit de grève.
La conférence « Pas touche au droit de grève »
A la mi-juin, le collectif unitaire « Pas touche au droit de grève » a organisé une conférence contre les plans de la grande coalition et a ainsi renforcé la pression contre la tentative du gouvernement de dégrader davantage le droit de grève. De nombreux militants syndicaux de différentes régions de la république fédérale étaient présents. Depuis 2011, des syndicalistes, qui ont par ailleurs des orientations différentes, travaillent ensemble au sein du collectif unitaire « Bas les pattes du droit de grève – pour une liberté d’action syndicale totale ». A cette époque, DGB et BDA[4] avaient pris une initiative commune pour inscrire dans la loi le principe de la convention collective unique. Si aujourd’hui, la direction du DGB a été obligée de retirer sa participation à cause de la résistance dans les syndicats, en particulier dans ver.di, on le doit à l’activité de ce collectif unitaire.
La conférence de juin a clairement montré qu’il y a encore de grands besoins d’éclaircissements au sein des syndicats et que de nombreux collègues n’ont pas pris la mesure du danger que ce projet législatif fait courir aux capacités d’action des syndicats. A côté des discussions et des résolutions dans les comités syndicaux, il y a besoin d’actions syndicales contre ce projet. La résolution du congrès fédéral du DGB peut être utilisée pour exiger la mise en place de telles actions.
Dès que la proposition de loi sera soumise à examen – les militants du collectif s’attendent à ce que cela se produise à l’automne -, des actions publiques doivent être organisées.
Traduit et annoté par Henri Clément
[1] Le Deutscher Gewerkschaftsbund Deutschlands (DGB) est la grande confédération générale des syndicats, avec 6,2 millions de membres, reposant sur le principe du syndicalisme d’industrie (Einheitsgewerkschaft – syndicat unitaire) et qui – officiellement – ne suit pas une ligne politique spécifique mais qui en réalité suit la ligne du SPD (social-libéral). A côté il existe plusieurs petits syndicats, qui, dans leur majorité organisent des secteurs professionnels.
[2] Il s’agit de l’équivalent allemand du passage devant le conseil des ministres avant transmission de la proposition de loi au parlement.
[3] Vereinte Diensleistungsgewerkschaft (ver.di), fédération du commerce et des services, est membre de la confédération DGB.
[4] Bundesvereinigung deutscher Arbeitgeberverbände (BDA), l’Union Fédérale des organisations patronales allemandes, équivalent du Medef.
Par Henri Clément (08/09/14)
A lire sur le site Terrains de Luttes