18 Sept 2018
Flúdir, une petite bourgade pittoresque au cœur du « Cercle d’or » islandais. En bordure du village, au beau milieu des prairies, quelques personnes barbotent dans les eaux à 40° du « secret lagoon », la toute première source thermale du pays, bien moins connue que les bains chauds prisés par les touristes.
À l’image de nombreux recoins de l’île volcanique, dans le petit village Flúdir, le sol est bouillonnant, les rivières fumantes, la chaleur s’échappe du cœur de la terre. Un trésor de la nature que l’Islande doit à sa position unique au monde, pile entre les plaques tectoniques américaine et eurasienne. Dans quelques jours, cette petite communauté de 800 personnes va utiliser d’une manière nouvelle la richesse de son sous-sol. Car si la géothermie n’a rien de vraiment nouveau ici, les techniques pour en extraire l’énergie ne cessent d’évoluer.
Cette bénédiction géographique offre à l’Islande des paysages incroyables marqués par les activités de 130 volcans, des montagnes colorées, de multiples sources chaudes, mais également un trésor énergétique : les Islandais sont devenus les maîtres de la géothermie, la transformation de cette chaleur en énergie. L’Islande est d’ailleurs reconnue, grâce à cette énergie et à des comportements individuels résilients, comme l’un des pays les plus « verts » du monde : 90% des maisons sont chauffées grâce à de l’eau souterraine, tout comme les serres des agriculteurs et les routes pendant l’hiver. Les Islandais, grâce à la géothermie et les barrages hydroélectriques, consomment 99% d’énergies renouvelables.
À quelques kilomètres de Flúdir, une colonne d’eau bouillante jaillit du sol à 15 mètres de haut, l’éruption est réglée comme une horloge, toutes les 10 minutes environ. C’est l’attraction du petit village de Geysir qui a donné dans le monde entier le nom « geyser » au phénomène naturel. Plus loin, la magnifique cascade de Gulfoss attire aussi les touristes. À sa manière, Flúdir va bientôt concurrencer la notoriété de ses illustres voisins, mais n’en fera peut-être pas une publicité touristique : la petite communauté va devenir la première d’Islande à produire sa propre électricité locale et indépendante des grandes centrales géothermiques du pays. « On a de l’eau froide, de l’eau chaude, c’est un rêve d’imaginer maintenant créer notre propre électricité et, qui sait, un jour, être auto-suffisant », s’enthousiasme Halldóra Hjörleifsdóttir, conseillère locale. L’autonomie énergétique totale à l’échelle locale à portée de main.
Avec la société islandaise Varmaorka et son partenaire suédois Climeon, les autorités locales bâtissent une mini-centrale géothermique inédite à côté de l’un de ses puits d’eau chaude. « Pour la première fois en Islande, l’électricité ne sera pas produite à partir d’eau ultra-bouillante (en général de 200 à 250° C), mais ici, on va parvenir à utiliser de l’eau à « basse » température, autour des 120°C », explique le maire John G. Valgeirsson.
À l’entrée de la ville, la mini-centrale de Flúdir produira ses premiers kilowatts d’ici quelques jours. Elle est installée à côté d’un puits où, par seconde, 40 litres d’eau jaillissent du sol à 120°C : « En Islande, l’eau est trop chaude avant d’être envoyée vers le chauffage central des maisons », nous explique Ragnar Saer Ragnarsson, directeur général de Varmaorka. « C’est de l’énergie perdue ! Nous allons utiliser ce surplus, que l’on appelle parfois extra-calorie et en faire de l’électricité, avant d’utiliser l’eau chaude pour chauffer les bâtiments. Le fluide qui est dans notre machine va bouillir aux alentours de 58 degrés et faire tourner la turbine. C’est la raison pour laquelle nous pouvons utiliser les températures très basses et tout de même créer de l’électricité. »
Le chantier touche à sa fin et tout le monde ici est très enthousiaste à l’idée de voir la mini-centrale géothermique en action. Les machines font 2m2, une installation de petite taille, très facile à déplacer ou à reproduire dans de nombreuses localités islandaises où l’eau chaude s’écoule sans partager aux habitants son potentiel énergétique : « Après avoir vu les résultats ici, nous espérons nous implanter tout autour du pays » poursuit Ragnar Saer Ragnarsson. « On a de la chance de bénéficier de cette énergie en Islande mais d’autres pays pourraient le faire aussi, les États-Unis et le Japon y pensent et je sais par des ingénieurs belges que c’est aussi possible chez vous ».
La production d’énergie géothermique à basse température, c’est une nouveauté en Islande. On est loin des 7 grandes stations géothermiques du pays qui pompent l’eau à très haute température pour produire massivement l’électricité utilisée par les 340.000 Islandais et surtout les usines. Une industrie sujette à des critiques, comme l’écrivait récemment la RTBF. Sigriður Bylgja Sigurjónsdóttir de Landvernd, la plus importante ONG environnementale du pays, déplorait la surexploitation de la géothermie pour des activités qui ne sont pas respectueuses de l’environnement : « Presque 80% de cette énergie est vendue à des grandes entreprises très polluantes, des fonderies d’aluminium, des usines de silice. Alors, les gens se disent : ‘Est-ce que l’on doit vraiment donner notre nature, aussi magnifique que fragile, à ces gros pollueurs ?’ Par ailleurs, la durée de vie de ces centrales n’est que de 50 ans. Vous trouvez que c’est vraiment durable, vous ? Et que dire des eaux réinjectées sous terre, qui créent des petits tremblements de terre ? Le développement de la géothermie va beaucoup trop vite, il faudrait être beaucoup plus prudent. » Quel paradoxe surprenant. L’environnement unique, la plus précieuse ressource naturelle de l’Islande, offre l’énergie de sa propre destruction.
Ceci étant, à petite échelle, la géothermie est manifestement une chance pour un pays isolé, au climat rigoureux ; une terre isolée, privée d’arbres, aux hivers extrêmement rudes et sans lumière. D’où la nécessité de relocaliser l’exploitation de cette précieuse ressource afin qu’elle puisse servir la population avant tout. En Islande, grâce aux énergies du sol volcanique, des serres ont vu le jour dans les années 1920 et s’y sont largement développées depuis. À Flúdir, ces potagers de verre chauffés par géothermie poussent comme des champignons.
Nous voici justement chez Fluddasveppir, le seul producteur de champignons de l’île. Dans la moiteur de 6 salles, 3 variétés grandissent dans le compost : champignons blancs, bruns et portobello, 11 tonnes de champignons locaux sont distribuées aux magasins islandais chaque semaine ! « L’eau thermale est utilisée ici pour favoriser la création du compost, 600 tonnes par semaine, mais surtout pour nettoyer les entrepôts où grandissent les champignons » nous explique Avaer Eyfjord Sigurdsson, manager de la ferme. « On doit avoir un environnement totalement stérilisé dans la ferme des champignons. »
Plus loin, des serres au climat méditerranéen s’étalent sur 5000 m2 : tomates et poivrons rougissent sous le soleil artificiel simulé par des spots de lumière, le tout en autonomie énergétique. Dans les paysages arides et volcaniques de l’Islande, un petit miracle agricole et organique pousse sous nos yeux. « Il fait très froid en Islande en hiver et nous devons pourtant garder plus de 20 degrés dans les serres », poursuit Avaer Eyfjord Sigurdsson « donc, on utilise beaucoup de géothermie pour faire circuler l’eau chaude dans des tuyaux ici en-dessous des légumes. Et si on peut utiliser cette même eau pour créer de l’électricité grâce au nouveau projet en cours ici, cela changera beaucoup de choses pour nous. On a besoin de beaucoup d’électricité pour créer le soleil dans les serres car on n’a pas tellement de lumière en hiver, seulement quelques heures par jour. »
L’énergie verte et infinie, aussi longtemps que la terre le permet, une richesse qui a permis à l’Islande de se développer et se relever après les crises du passé. Une fierté pour les Islandais tout heureux de nous partager leur savoir-faire. Si l’Islande doit maîtriser l’exploitation de cette richesse, elle souhaite également exporter son modèle au monde entier. Rappelons que cette géothermie basse température ne nécessite pas de volcan à proximité ! Et son potentiel est appréciable dans la réduction des émissions de C02 mais aussi pour adsorber les chocs d’un monde post-pétrole qui s’en vient.
Par Pascale Sury et Mr Mondialisation (publié le 17/09/2018)
A lire sur le site MrMondialisation
À l’image de nombreux recoins de l’île volcanique, dans le petit village Flúdir, le sol est bouillonnant, les rivières fumantes, la chaleur s’échappe du cœur de la terre. Un trésor de la nature que l’Islande doit à sa position unique au monde, pile entre les plaques tectoniques américaine et eurasienne. Dans quelques jours, cette petite communauté de 800 personnes va utiliser d’une manière nouvelle la richesse de son sous-sol. Car si la géothermie n’a rien de vraiment nouveau ici, les techniques pour en extraire l’énergie ne cessent d’évoluer.
Cette bénédiction géographique offre à l’Islande des paysages incroyables marqués par les activités de 130 volcans, des montagnes colorées, de multiples sources chaudes, mais également un trésor énergétique : les Islandais sont devenus les maîtres de la géothermie, la transformation de cette chaleur en énergie. L’Islande est d’ailleurs reconnue, grâce à cette énergie et à des comportements individuels résilients, comme l’un des pays les plus « verts » du monde : 90% des maisons sont chauffées grâce à de l’eau souterraine, tout comme les serres des agriculteurs et les routes pendant l’hiver. Les Islandais, grâce à la géothermie et les barrages hydroélectriques, consomment 99% d’énergies renouvelables.
À quelques kilomètres de Flúdir, une colonne d’eau bouillante jaillit du sol à 15 mètres de haut, l’éruption est réglée comme une horloge, toutes les 10 minutes environ. C’est l’attraction du petit village de Geysir qui a donné dans le monde entier le nom « geyser » au phénomène naturel. Plus loin, la magnifique cascade de Gulfoss attire aussi les touristes. À sa manière, Flúdir va bientôt concurrencer la notoriété de ses illustres voisins, mais n’en fera peut-être pas une publicité touristique : la petite communauté va devenir la première d’Islande à produire sa propre électricité locale et indépendante des grandes centrales géothermiques du pays. « On a de l’eau froide, de l’eau chaude, c’est un rêve d’imaginer maintenant créer notre propre électricité et, qui sait, un jour, être auto-suffisant », s’enthousiasme Halldóra Hjörleifsdóttir, conseillère locale. L’autonomie énergétique totale à l’échelle locale à portée de main.
Avec la société islandaise Varmaorka et son partenaire suédois Climeon, les autorités locales bâtissent une mini-centrale géothermique inédite à côté de l’un de ses puits d’eau chaude. « Pour la première fois en Islande, l’électricité ne sera pas produite à partir d’eau ultra-bouillante (en général de 200 à 250° C), mais ici, on va parvenir à utiliser de l’eau à « basse » température, autour des 120°C », explique le maire John G. Valgeirsson.
À l’entrée de la ville, la mini-centrale de Flúdir produira ses premiers kilowatts d’ici quelques jours. Elle est installée à côté d’un puits où, par seconde, 40 litres d’eau jaillissent du sol à 120°C : « En Islande, l’eau est trop chaude avant d’être envoyée vers le chauffage central des maisons », nous explique Ragnar Saer Ragnarsson, directeur général de Varmaorka. « C’est de l’énergie perdue ! Nous allons utiliser ce surplus, que l’on appelle parfois extra-calorie et en faire de l’électricité, avant d’utiliser l’eau chaude pour chauffer les bâtiments. Le fluide qui est dans notre machine va bouillir aux alentours de 58 degrés et faire tourner la turbine. C’est la raison pour laquelle nous pouvons utiliser les températures très basses et tout de même créer de l’électricité. »
Le chantier touche à sa fin et tout le monde ici est très enthousiaste à l’idée de voir la mini-centrale géothermique en action. Les machines font 2m2, une installation de petite taille, très facile à déplacer ou à reproduire dans de nombreuses localités islandaises où l’eau chaude s’écoule sans partager aux habitants son potentiel énergétique : « Après avoir vu les résultats ici, nous espérons nous implanter tout autour du pays » poursuit Ragnar Saer Ragnarsson. « On a de la chance de bénéficier de cette énergie en Islande mais d’autres pays pourraient le faire aussi, les États-Unis et le Japon y pensent et je sais par des ingénieurs belges que c’est aussi possible chez vous ».
La production d’énergie géothermique à basse température, c’est une nouveauté en Islande. On est loin des 7 grandes stations géothermiques du pays qui pompent l’eau à très haute température pour produire massivement l’électricité utilisée par les 340.000 Islandais et surtout les usines. Une industrie sujette à des critiques, comme l’écrivait récemment la RTBF. Sigriður Bylgja Sigurjónsdóttir de Landvernd, la plus importante ONG environnementale du pays, déplorait la surexploitation de la géothermie pour des activités qui ne sont pas respectueuses de l’environnement : « Presque 80% de cette énergie est vendue à des grandes entreprises très polluantes, des fonderies d’aluminium, des usines de silice. Alors, les gens se disent : ‘Est-ce que l’on doit vraiment donner notre nature, aussi magnifique que fragile, à ces gros pollueurs ?’ Par ailleurs, la durée de vie de ces centrales n’est que de 50 ans. Vous trouvez que c’est vraiment durable, vous ? Et que dire des eaux réinjectées sous terre, qui créent des petits tremblements de terre ? Le développement de la géothermie va beaucoup trop vite, il faudrait être beaucoup plus prudent. » Quel paradoxe surprenant. L’environnement unique, la plus précieuse ressource naturelle de l’Islande, offre l’énergie de sa propre destruction.
Ceci étant, à petite échelle, la géothermie est manifestement une chance pour un pays isolé, au climat rigoureux ; une terre isolée, privée d’arbres, aux hivers extrêmement rudes et sans lumière. D’où la nécessité de relocaliser l’exploitation de cette précieuse ressource afin qu’elle puisse servir la population avant tout. En Islande, grâce aux énergies du sol volcanique, des serres ont vu le jour dans les années 1920 et s’y sont largement développées depuis. À Flúdir, ces potagers de verre chauffés par géothermie poussent comme des champignons.
Nous voici justement chez Fluddasveppir, le seul producteur de champignons de l’île. Dans la moiteur de 6 salles, 3 variétés grandissent dans le compost : champignons blancs, bruns et portobello, 11 tonnes de champignons locaux sont distribuées aux magasins islandais chaque semaine ! « L’eau thermale est utilisée ici pour favoriser la création du compost, 600 tonnes par semaine, mais surtout pour nettoyer les entrepôts où grandissent les champignons » nous explique Avaer Eyfjord Sigurdsson, manager de la ferme. « On doit avoir un environnement totalement stérilisé dans la ferme des champignons. »
Plus loin, des serres au climat méditerranéen s’étalent sur 5000 m2 : tomates et poivrons rougissent sous le soleil artificiel simulé par des spots de lumière, le tout en autonomie énergétique. Dans les paysages arides et volcaniques de l’Islande, un petit miracle agricole et organique pousse sous nos yeux. « Il fait très froid en Islande en hiver et nous devons pourtant garder plus de 20 degrés dans les serres », poursuit Avaer Eyfjord Sigurdsson « donc, on utilise beaucoup de géothermie pour faire circuler l’eau chaude dans des tuyaux ici en-dessous des légumes. Et si on peut utiliser cette même eau pour créer de l’électricité grâce au nouveau projet en cours ici, cela changera beaucoup de choses pour nous. On a besoin de beaucoup d’électricité pour créer le soleil dans les serres car on n’a pas tellement de lumière en hiver, seulement quelques heures par jour. »
L’énergie verte et infinie, aussi longtemps que la terre le permet, une richesse qui a permis à l’Islande de se développer et se relever après les crises du passé. Une fierté pour les Islandais tout heureux de nous partager leur savoir-faire. Si l’Islande doit maîtriser l’exploitation de cette richesse, elle souhaite également exporter son modèle au monde entier. Rappelons que cette géothermie basse température ne nécessite pas de volcan à proximité ! Et son potentiel est appréciable dans la réduction des émissions de C02 mais aussi pour adsorber les chocs d’un monde post-pétrole qui s’en vient.
Par Pascale Sury et Mr Mondialisation (publié le 17/09/2018)
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