La Finlande loge les SDF... et ça va beaucoup mieux
Depuis plus de trente ans, la Finlande met en œuvre une politique volontariste pour résoudre la question des SDF : « un logement d’abord » et la réinsertion suit. Selon ses promoteurs, cette politique « permet d’économiser 15.000 euros par an et par personne ».

Helsinki et Espoo (Finlande), reportage


Depuis les années 1980, ce pays du nord de l’Europe est passé de près de 20.000 à 6.644 personnes sans domicile fixe (SDF). À titre de comparaison, en France, le nombre de SDF a augmenté de 50 % depuis 2001 pour atteindre les 141.500 début 2012, d’après le rapport sur le mal-logement édité par la Fondation Abbé-Pierre. Certes, la France est douze fois plus peuplée que la Finlande. Mais en proportion, ces chiffres montrent que le pays scandinave compte deux fois moins de SDF que la France.

Le secret de cette réussite ? Une politique menée du local au national, nommée « un logement d’abord », portée par des acteurs engagés issus de trois ministères fondamentaux : l’Environnement, chargé de la construction et de la rénovation des habitations ; les Affaires sociales et la Santé, pour la prise en charge des personnes ; et les Finances, pour dégager le budget nécessaire et soutenir les initiatives.

Peter Fredriksson incarne cette politique. Conseiller du ministre de l’Environnement pendant plus de vingt ans, il vient de quitter son poste pour une retraite méritée. « Le principe “un logement d’abord” n’est pas nouveau. Un premier rapport rédigé par mon département en 1985 recommandait déjà de combiner l’administration chargée des logements et celle liée aux affaires sociales et de santé, afin de mener une politique cohérente pour la gestion du “sans-abrisme”. Ce document d’une quinzaine de pages reste notre référence. D’autant qu’en Finlande, c’est inscrit dans notre Constitution : les secteurs officiels doivent aider les gens à avoir leur propre logement. » La théorie est mise en pratique d’abord par des associations, de leur propre initiative, comme le Helsinki Deaconess Institute dans les années 1990 ou la VVA, au début des années 2000. Les personnes concernées sont celles complètement sans domicile depuis un an ou de façon répétée durant trois ans. Les causes sont variées : environnement difficile ou insalubre, problèmes d’alcool, incapacité à payer son loyer, etc. En Finlande, 80 % des SDF logent chez des amis ou de la famille. Dormir dans la rue est impossible la moitié de l’année, pour cause de grand froid, les températures pouvant baisser jusqu’à - 25 °C l’hiver en ville.

240 millions d’euros ont été dépensés en huit ans, amortis en quelques années

C’est en 2008 qu’est lancé le programme Paavo, qui acte la rénovation des refuges en appartements d’une ou deux pièces à destination des SDF et la construction de milliers de nouveaux logements. L’expérimentation se fait d’abord dans dix villes, avec lesquelles ont été établis des contrats détaillés. « Nous n’avons plus de centres d’accueil de nuit, qui faisaient d’ailleurs partie du problème. Ce ne sont pas des endroits où vivre humainement », explique Peter Fredriksson. Le gouvernement s’est aussi engagé à financer la totalité des nouveaux investissements nécessaires (construction de nouveaux logements, nouveau personnel, matériel médical…) : 50 % sous forme de bourses, 50 % sous forme de prêts. Au total, 240 millions d’euros ont été dépensés en huit ans, amortis en quelques années. « Nous avons fait une évaluation du coût de l’opération : cela permet d’économiser 15.000 euros par an et par personne. Moins de prison, moins de services d’urgence, moins de visites à l’hôpital… Sans la volonté politique et l’alliance de ces trois ministères, ça n’aurait pas été possible. » Les SDF qui accèdent à un de ces logements payent un loyer, parfois grâce à des aides de l’Etat.

Peter Fredriksson incarne la politique du logement finlandaise. Conseiller du ministre de l’Environnement pendant plus de vingt ans, il vient de partir à la retraite.
À quelques kilomètres à l’ouest d’Helsinki, dans la ville d’Espoo, les locataires de Väinolä sont les bénéficiaires de cette opération. Entouré de forêts, au bord d’un lac, l’immeuble, qui loge 35 personnes, n’est pourtant pas si éloigné du centre-ville, accessible facilement par les transports en commun. Ouvert en 2014, il a été rénové par la Fondation Y, le quatrième propriétaire de logements de toute la Finlande.

Dans la salle commune, assis sur un canapé, Sébastien raconte comment il est venu habiter ici. « J’étais marié à une Finlandaise mais nous avons divorcé en 2010. Je suis retourné en Martinique pour voir ma famille puis j’ai essayé de revenir vivre en France. Comme je ne trouvais pas de travail et que j’ai deux enfants ici, de douze et dix ans, j’ai décidé de réessayer en Finlande. » À 38 ans, lui qui a une formation de technicien en bâtiment et a été conducteur de travaux n’est pas parvenu à se faire embaucher. Pas même par son ancien employeur, la ville d’Espoo. Il loge un temps dans une maison gérée par One Way Mission, une association chrétienne pour laquelle il fait du volontariat, puis obtient finalement un contrat de location à durée indéterminée pour un deux-pièces à Väinolä. « Nous n’avons pas tous les mêmes profils, mais la majorité des locataires ont des dettes, sont au chômage ou ont des problèmes de santé, ajoute-t-il. Dès que j’aurai un travail, je pense déménager. »

Par Hélène Molinari

Lire la suite sur reporterre.net (4/09/17)