11 Juin 2016
C'est un véritable coup de tonnerre! Peut-être même - qui sait? - une révolution! Ce qui vient de se produire au sein du Fonds monétaire international (FMI) est purement renversant : trois de ses plus éminents économistes viennent en effet de signer un article dans la revue phare du Fonds Finance & Development qui proclame... la mort du néolibéralisme!
Oui, vous avez bien lu : la mort du néolibéralisme. Ni plus ni moins.
Ces trois économistes sont : Jonathan Ostry, le directeur adjoint du département de la recherche du FMI; Prakash Loungani, l'un des conseillers du Fonds et professeur d'économie à l'École de management Owen de Nashville (États-Unis); et Davide Furceri, l'un des économistes du FMI. Et ces trois sommités que personne ne songerait à considérer comme des "gauchistes purs et durs" sont catégoriques : «Au lieu d'apporter la croissance économique promise, le néolibéralisme a en vérité accru les inégalités, et par la même occasion, compromis toute expansion économique durable», lancent-ils sans sourciller. Explication.
Pour commencer, il convient de se demander ce qu'on entend, au juste, par néolibéralisme. C'est que le terme n'est pas neuf et a connu de nombreuses définitions au cours des dernières décennies, des définitions parfois même contradictoires.
Le néolibéralisme d'aujourd'hui correspond grosso modo à celui qui est défini par le Consensus de Washington, proposé par l'économiste américain John Williamson. Ce consensus consiste en une dizaine de points, lesquels correspondent chacun à une proposition qualifiée de néolibérale, du genre «Les déficits produisent inflation et baisse de la productivité à moyen et long termes, en conséquence il faut les proscrire».
S'appuyant sur le Consensus, MM. Ostry, Loungani et Furceri estiment dans leur article qu'on peut résumer le néolibéralisme à deux de ses piliers fondateurs, à savoir : «une volonté politique d'accroître la compétition» (via notamment la déréglementation et l'ouverture du marché intérieur aux compétiteurs étrangers) et «une volonté politique de réduire le rôle de l'État» (via notamment la privatisation et l'interdiction aux gouvernements d'afficher des déficits).
L'analyse des trois économistes du Fonds montre que «l'agenda néolibéral» s'est étendu à toute la planète, ou presque, durant les trois dernières décennies, en s'accélérant même d'année en année. C'est à présent à qui sera le plus prompt à faire circuler les capitaux, à alléger sa dette, ou encore à agrandir l'assiette des impôts. Un indice témoigne à lui seul de l'ampleur du phénomène : l'indice de compétition, qui mesure le degré d'ouverture d'un pays à la compétition extérieure, a bondi à l'échelle mondiale de 0,25 à 0,6 - sur une échelle de 0 à 1 - entre 1982 et 2002; soit une progression spectaculaire de 140% en seulement deux décennies. À ce niveau-là, on peut parler d'épidémie...
Le hic? C'est que le néolibéralisme n'a pas apporté la croissance économique promise. Loin s'en faut. MM. Ostry, Loungani et Furceri ont ainsi regardé ce qu'avait réellement apporté la libéralisation des capitaux à ceux qui s'en étaient prévalus :
> Crises financières. Plus les capitaux peuvent circuler facilement dans un pays, plus les risques sont élevés que ce pays-là soit frappé par une crise financière. «Depuis 1980, il y a eu plus de 150 crises financières dans 50 pays aux économies émergentes. Et dans 20% des cas, cela s'est traduit par un net déclin économique», indiquent-ils dans leur article.
> Inégalités. Plus les capitaux peuvent circuler librement dans un pays, plus les inégalités s'accroissent au sein de la population. «En période de crise économique, les inégalités, mesurées par l'indice de Gini, progressent alors d'en moyenne 2,5 points de pourcentage en l'espace de deux ans et d'en moyenne 3,5 points de pourcentage en l'espace de cinq ans», poursuivent-ils.
Ils ont également regardé ce qu'avait réellement entraîné la réduction du rôle de l'État, et en particulier l'impact des politiques d'austérité :
> Des coûts supérieurs aux bénéfices. «Les coûts consécutifs à une politique d'austérité sont en général nettement supérieurs aux bénéfices que celle-ci peut présenter. La raison est fort simple : lorsqu'on entreprend de diminuer la dette d'un pays, on crée des taxes directes et indirectes qui perturbent le comportement économique des différents acteurs (entreprises, consommateurs, etc.) ou qui freinent les investissements - voire les deux; et tout cela entraîne des coûts qui se révèlent supérieurs aux coûts de la dette, ce qu'on appelle souvent, à tort, le "fardeau de la dette"», expliquent-ils.
Et de préciser : «Une politique d'austérité a, par suite, un impact à la fois négatif sur l'emploi et positif sur le chômage, comme en attestent notre analyse chiffrée. C'est bien simple, pour toute progression de 1% du produit intérieur brut (PIB) on assiste dès lors à une hausse d'en moyenne 0,6 point de pourcentage du taux de chômage de longue durée, et à cela s'ajoute une augmentation d'en moyenne 1,5 point de pourcentage de l'indice de Gini des inégalités de revenus sur cinq ans», notent-ils, pour conclure que «les épisodes de consolidation fiscale auxquels on assiste ici et là, où un gouvernement cherche à réduire ses déficits et l'endettement du pays, se sont traduits en général par des reculs économiques, et non pas par des avancées».
Autrement dit, le néolibéralisme n'a pas donné les résultats escomptés durant les trois dernières décennies. Il n'a pas apporté la croissance économique tant espérée. «Il n'a permis en fait qu'à une infime minorité de personnes de s'en sortir mieux, certainement pas à la majorité d'entre elles», soulignent MM. Ostry, Loungani et Furceri.
Les trois économistes en appellent donc au pragmatisme : «Les politiciens tout comme les dirigeants des grandes institutions semblables au FMI feraient mieux d'arrêter de s'appuyer sur la foi pour plutôt s'appuyer sur les faits, c'est-à-dire sur ce qui marche vraiment en matière de politique économique». Et ils citent ce qu'avait dit avant eux Olivier Blanchard, en 2010, alors qu'il était l'économiste en chef du Fonds : «Les économies développées ont aujourd'hui besoin d'une politique fiscale modérée, qui colle à la réalité économique du pays et de sa population. Certainement pas du noeud coulant de l'austérité».
C'est clair, le néolibéralisme est mort. Pas encore enterré, puisque cet article retentissant en est peut-être la première pelletée, mais bel et bien mort. Reste à voir combien de temps cela prendra aux différents gouvernements néolibéraux au pouvoir - à l'image de celui du premier ministre québécois Philippe Couillard - pour le comprendre, puis pour agir en conséquence...
A lire sur le site Les Affaires (02/06/2016)
Oui, vous avez bien lu : la mort du néolibéralisme. Ni plus ni moins.
Ces trois économistes sont : Jonathan Ostry, le directeur adjoint du département de la recherche du FMI; Prakash Loungani, l'un des conseillers du Fonds et professeur d'économie à l'École de management Owen de Nashville (États-Unis); et Davide Furceri, l'un des économistes du FMI. Et ces trois sommités que personne ne songerait à considérer comme des "gauchistes purs et durs" sont catégoriques : «Au lieu d'apporter la croissance économique promise, le néolibéralisme a en vérité accru les inégalités, et par la même occasion, compromis toute expansion économique durable», lancent-ils sans sourciller. Explication.
Pour commencer, il convient de se demander ce qu'on entend, au juste, par néolibéralisme. C'est que le terme n'est pas neuf et a connu de nombreuses définitions au cours des dernières décennies, des définitions parfois même contradictoires.
Le néolibéralisme d'aujourd'hui correspond grosso modo à celui qui est défini par le Consensus de Washington, proposé par l'économiste américain John Williamson. Ce consensus consiste en une dizaine de points, lesquels correspondent chacun à une proposition qualifiée de néolibérale, du genre «Les déficits produisent inflation et baisse de la productivité à moyen et long termes, en conséquence il faut les proscrire».
S'appuyant sur le Consensus, MM. Ostry, Loungani et Furceri estiment dans leur article qu'on peut résumer le néolibéralisme à deux de ses piliers fondateurs, à savoir : «une volonté politique d'accroître la compétition» (via notamment la déréglementation et l'ouverture du marché intérieur aux compétiteurs étrangers) et «une volonté politique de réduire le rôle de l'État» (via notamment la privatisation et l'interdiction aux gouvernements d'afficher des déficits).
L'analyse des trois économistes du Fonds montre que «l'agenda néolibéral» s'est étendu à toute la planète, ou presque, durant les trois dernières décennies, en s'accélérant même d'année en année. C'est à présent à qui sera le plus prompt à faire circuler les capitaux, à alléger sa dette, ou encore à agrandir l'assiette des impôts. Un indice témoigne à lui seul de l'ampleur du phénomène : l'indice de compétition, qui mesure le degré d'ouverture d'un pays à la compétition extérieure, a bondi à l'échelle mondiale de 0,25 à 0,6 - sur une échelle de 0 à 1 - entre 1982 et 2002; soit une progression spectaculaire de 140% en seulement deux décennies. À ce niveau-là, on peut parler d'épidémie...
Le hic? C'est que le néolibéralisme n'a pas apporté la croissance économique promise. Loin s'en faut. MM. Ostry, Loungani et Furceri ont ainsi regardé ce qu'avait réellement apporté la libéralisation des capitaux à ceux qui s'en étaient prévalus :
> Crises financières. Plus les capitaux peuvent circuler facilement dans un pays, plus les risques sont élevés que ce pays-là soit frappé par une crise financière. «Depuis 1980, il y a eu plus de 150 crises financières dans 50 pays aux économies émergentes. Et dans 20% des cas, cela s'est traduit par un net déclin économique», indiquent-ils dans leur article.
> Inégalités. Plus les capitaux peuvent circuler librement dans un pays, plus les inégalités s'accroissent au sein de la population. «En période de crise économique, les inégalités, mesurées par l'indice de Gini, progressent alors d'en moyenne 2,5 points de pourcentage en l'espace de deux ans et d'en moyenne 3,5 points de pourcentage en l'espace de cinq ans», poursuivent-ils.
Ils ont également regardé ce qu'avait réellement entraîné la réduction du rôle de l'État, et en particulier l'impact des politiques d'austérité :
> Des coûts supérieurs aux bénéfices. «Les coûts consécutifs à une politique d'austérité sont en général nettement supérieurs aux bénéfices que celle-ci peut présenter. La raison est fort simple : lorsqu'on entreprend de diminuer la dette d'un pays, on crée des taxes directes et indirectes qui perturbent le comportement économique des différents acteurs (entreprises, consommateurs, etc.) ou qui freinent les investissements - voire les deux; et tout cela entraîne des coûts qui se révèlent supérieurs aux coûts de la dette, ce qu'on appelle souvent, à tort, le "fardeau de la dette"», expliquent-ils.
Et de préciser : «Une politique d'austérité a, par suite, un impact à la fois négatif sur l'emploi et positif sur le chômage, comme en attestent notre analyse chiffrée. C'est bien simple, pour toute progression de 1% du produit intérieur brut (PIB) on assiste dès lors à une hausse d'en moyenne 0,6 point de pourcentage du taux de chômage de longue durée, et à cela s'ajoute une augmentation d'en moyenne 1,5 point de pourcentage de l'indice de Gini des inégalités de revenus sur cinq ans», notent-ils, pour conclure que «les épisodes de consolidation fiscale auxquels on assiste ici et là, où un gouvernement cherche à réduire ses déficits et l'endettement du pays, se sont traduits en général par des reculs économiques, et non pas par des avancées».
Autrement dit, le néolibéralisme n'a pas donné les résultats escomptés durant les trois dernières décennies. Il n'a pas apporté la croissance économique tant espérée. «Il n'a permis en fait qu'à une infime minorité de personnes de s'en sortir mieux, certainement pas à la majorité d'entre elles», soulignent MM. Ostry, Loungani et Furceri.
Les trois économistes en appellent donc au pragmatisme : «Les politiciens tout comme les dirigeants des grandes institutions semblables au FMI feraient mieux d'arrêter de s'appuyer sur la foi pour plutôt s'appuyer sur les faits, c'est-à-dire sur ce qui marche vraiment en matière de politique économique». Et ils citent ce qu'avait dit avant eux Olivier Blanchard, en 2010, alors qu'il était l'économiste en chef du Fonds : «Les économies développées ont aujourd'hui besoin d'une politique fiscale modérée, qui colle à la réalité économique du pays et de sa population. Certainement pas du noeud coulant de l'austérité».
C'est clair, le néolibéralisme est mort. Pas encore enterré, puisque cet article retentissant en est peut-être la première pelletée, mais bel et bien mort. Reste à voir combien de temps cela prendra aux différents gouvernements néolibéraux au pouvoir - à l'image de celui du premier ministre québécois Philippe Couillard - pour le comprendre, puis pour agir en conséquence...
A lire sur le site Les Affaires (02/06/2016)