Le syndicat débutant qui a gagné le bras de fer avec le géant des cafés : le cas de Starbucks au Chili
Le Chili, pays où le chômage des jeunes et la précarité de l’emploi atteignent des niveaux alarmants, a assisté dans les années 2000, à la surprise générale des Chiliens comme des observateurs étrangers, à la création d’un syndicat au sein de Starbucks, un groupe réticent à la syndicalisation, par principe, depuis sa création. Sous la conduite de jeunes éloignés du monde syndical, ce mouvement a posé un nouveau jalon : devenir le premier syndicat de travailleurs de Starbucks à signer une convention collective.

Les travailleurs de Starbucks au Chili ont fondé en 2009 le premier syndicat au sein de cette grande chaîne américaine de cafés en Amérique latine. Ce syndicat s’éloignait de l’image classique des groupements de travailleurs. Ses membres, âgés de 20 à 30 ans, étaient pour la plupart des étudiants universitaires sans expérience du monde syndical mais qui avaient fait leurs armes lors des mobilisations sociales qui, à partir de 2006, ont constitué le plus grand mouvement de protestation depuis la fin de la dictature d’Augusto Pinochet en 1990.

L’engagement et la clairvoyance de ces jeunes, conjugués à la connaissance et à l’utilisation des réseaux sociaux et des nouvelles technologies, leur a permis en 2015 de poser un nouveau jalon dans le monde du travail : la première convention collective conclue par un syndicat de Starbucks dans le monde entier.

L’histoire du syndicat de Starbucks au Chili est intimement liée au contexte politique et social chilien durant la première décennie de ce siècle, marquée par la mobilisation des lycéens et des étudiants contre le modèle éducatif hérité du régime militaire.

Ce mouvement a été suivi par Andrés Giordano, premier (et actuel) président du syndicat de Starbucks au Chili, qui explique qu’il existait en 2009 « un processus d’agitation sociale » des étudiants qui a favorisé le groupement des travailleurs de la chaîne de cafés. 2

« Cette effervescence a conduit les jeunes, qui représentaient la majorité des salariés de Starbucks, à réagir en s’organisant plutôt que de façon individuelle », indique Giordano, qui avait dirigé un mouvement étudiant de 2004 à 2007.

Ces jeunes employés, dont il s’agissait souvent du premier emploi pour payer leurs études et qui considéraient leur travail chez Starbucks comme une occupation temporaire, se sont retrouvés dans une entreprise qui avait une approche stratégique très particulière, orientée sur un client qui considérait la marque comme un indicateur de statut.

Les clés de la convention collective : réseaux sociaux et instruments internationaux

Une étude intitulée Recursos de poder en el Sindicato de Trabajadores de Starbucks en Chile, commanditée par la fondation allemande FES et réalisée par Felipe Labra, indique que pour le client, « l’expérience de la culture Starbucks est complétée par l’allégation de ‘consommation responsable’ du groupe », qui met en avant une démarche axée sur l’éthique commerciale, la responsabilité environnementale et le développement durable.

Pour renforcer ce message et le sentiment d’appartenance au groupe, les travailleurs de Starbucks sont appelés « partners » en interne, pratique habituelle dans les « happy companies » (entreprises où il fait bon travailler). Dans ce cadre, toute initiative sociale est jugée superflue par la multinationale.

Starbucks a débarqué au Chili en 2003 en ouvrant un établissement à Santiago. Six ans plus tard, le groupe possédait 40 cafés dans trois villes. Cette croissance rapide s’est accompagnée de premiers heurts entre les employés et la direction, que celle-ci a tranchés au moyen de licenciements et de représailles envers les travailleurs qui se plaignaient.

Les salariés ont alors commencé à s’organiser par courrier électronique. « Grâce à l’accès aux courriers institutionnels, ils ont convoqué des réunions ‘de détente’ en dehors du lieu de travail » sans éveiller le moindre soupçon, puisque ces rencontres étaient organisées sous couvert de la culture Starbucks. Ces réunions ont permis d’affiner les détails de la création du syndicat, comme l’explique le rapport de Labra.

Le 9 avril 2009, le point d’orgue de ce travail a été la constitution devant notaire du syndicat des travailleurs de Starbucks, composé au départ de quinze membres. Le syndicat a ensuite entamé des négociations collectives avec l’entreprise. La première a eu lieu en 2011 et la seconde en 2013. Toutes deux se sont achevées sans accord, l’entreprise refusant d’accepter les propositions des représentants syndicaux. Par ailleurs, les employés ont mené deux grèves, l’une de 18 jours en 2011 et l’autre de 11 jours en 2013, afin d’exprimer leur mécontentement et de faire pression sur l’entreprise.

La troisième négociation a débuté en 2015. Contrairement aux occasions précédentes, le syndicat a alors pris une décision qui allait s’avérait cruciale pour la défense de ses intérêts : la présentation d’une plainte au ministère des Affaires étrangères en tant que Point de contact national (PCN) de l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE) au Chili, afin de déterminer si Starbucks respectait les Principes directeurs de cette organisation sur les bonnes pratiques des entreprises multinationales.

L’OCDE en a conclu que l’existence du syndicat favorisait la défense des droits des travailleurs et la négociation des nouveaux contrats.

Avec l’appui de la déclaration du PCN et après avoir épuisé toutes les voies de recours, les salariés ont lancé le 20 mai 2015 une nouvelle grève, qui s’est achevée seulement trois jours plus tard avec la signature de la première convention collective conclue avec un syndicat de Starbucks.

Pour Andrés Giordano, le président du syndicat, la résolution du PCN a été essentielle dans le changement d’attitude de l’entreprise : « un jugement est une nouvelle qui ne dure qu’un jour mais une déclaration de l’OCDE est un argument de poids, qui va au-delà des frontières du Chili et qui a des répercussions mondiales. Cela a donné lieu à une pression suffisante pour qu’ils acceptent de négocier enfin une convention, bien que celle-ci soit très mesquine ».

Comme l’indique Giordano, cette convention était très décaféinée, prévoyant seulement une prime pour les formateurs des nouveaux employés et une allocation de repas de 22 dollars par mois.

Elle a toutefois permis de jeter les bases des négociations futures et de légitimer les membres du syndicat aux yeux des autres salariés des filiales de la multinationales. Au fil des mois, les aspects abordés par le syndicat et l’entreprise se sont diversifiés.

En outre, le succès du syndicat Starbucks Coffee au Chili a créé un précédent dans ce pays d’Amérique du Sud et les travailleurs de deux autres groupes de fast-food (Papa John’s et Johnny Rockets) ont créé leurs premiers groupements syndicaux en 2016.

Par Serrat Jordi (publié le 01/05/2018)
A lire sur le site Europe Solidaire Sans Frontières