Les trains de nuit se réveillent en Europe
Ringards, les trains de nuit ? C’est ce que pense la SNCF, qui ferme les lignes les unes après les autres. Dernière victime en date : le Paris-Nice en décembre dernier. La SNCF suit l’exemple de la compagnie publique allemande Deutsche Bahn (DB) qui a supprimé toutes ses liaisons nocturnes en 2016, jugées ruineuses. Le train de nuit ne serait plus compétitif face au développement des services d’autocars longue distance et du transport aérien à bas coût. L’avenir du ferroviaire, ce serait le train de jour à grande vitesse.

Pourtant, d’autres pays européens misent sur le train de nuit. À l’instar de la Finlande, la Suède a modernisé ses lignes nationales, enregistrant une hausse de fréquentation de 63 %. Au Royaume-Uni, la compagnie privée Caledonian Sleeper vient d’investir 173 millions d’euros dans de nouveaux wagons. Les liaisons internationales retrouvent elles aussi un nouveau souffle : la compagnie russe RJD a relancé les lignes Moscou-Berlin-Paris et Moscou-Nice.

Surtout, la compagnie publique autrichienne ÖBB a choisi de redynamiser le train de nuit intereuropéen, à la faveur de l’abandon de la Deutsche Bahn (DB). « Nous croyons en l’avenir d’un service de transports longue distance qui va de centre-ville à centre-ville, sans avoir besoin d’une voiture », explique Bernhard Rieder, chargé de la communication d’ÖBB.

« Nos clients préfèrent le train de nuit au bus parce que c’est plus confortable et que nous avons des prix compétitifs »

Fin 2016, les Autrichiens ont fait le pari de reprendre la moitié des lignes autrefois exploitées par la DB. C’est un succès : en un an, elles ont transporté près d’un million et demi de personnes, faisant mentir la compagnie allemande qui affirmait que le train de nuit était délaissé par les voyageurs. « Nous sommes rentables », se félicite Bernhard Rieder, sans vouloir donner plus de détails.

Pour attirer la clientèle, la compagnie mise avant tout sur la qualité du service et le confort. « Le taux de satisfaction est élevé, raconte Bernhard Rieder. Nos clients préfèrent le train de nuit au bus parce que c’est plus confortable et que nous avons des prix compétitifs. Par rapport à l’avion, il n’y a pas de contrôles de sécurité ni de suppléments bagages à payer. Il est aussi plus facile de voyager avec des enfants. »

ÖBB couvre désormais l’Allemagne, l’Autriche, la Suisse, l’Italie mais aussi, grâce à des partenariats, la République tchèque, la Pologne, la Slovaquie, la Slovénie, la Croatie et la Hongrie. Un réseau qui en fait désormais le leader du secteur en Europe centrale. D’ici 2021, la compagnie aura entièrement renouvelé son matériel roulant pour faire face à une demande croissante. Officiellement, ÖBB n’a pas de projet d’ouverture de lignes mais « regarde la situation en France avec intérêt », dit Bernhard Rieder. Une expansion vers le Benelux est également envisageable.

« ÖBB prouve que les trains de nuit ont un avenir », s’enthousiasme Joachim Holstein, militant allemand du collectif européen pour les trains de nuit Back on Track. « La DB a justifié l’arrêt des trains par manque de rentabilité. Mais ce n’est pas vrai. Elle n’a simplement pas voulu faire les investissements nécessaires pour moderniser les trains, le service s’est détérioré au fil des ans. Il y avait si peu de communication sur les trains de nuit que certains passagers pensaient qu’ils avaient disparu. »

Officiellement, la DB assure qu’elle perdait 37 millions d’euros par an avec ses trains de nuit. Mais une enquête du quotidien allemand Tagesspiegel all. a révélé que la compagnie avait délibérément plombé les comptes de son activité trains de nuit par un jeu d’écritures comptables, afin de justifier sa fermeture.

« La discrimination dont le train de nuit est victime par rapport au transport aérien et routier »

En France, le même phénomène serait à l’œuvre selon le collectif Oui au train de nuit. « Les trains de nuit sont pénalisés, raconte son porte-parole, Nicolas Forien. Entre les travaux la nuit qui conduisent à des retards ou à des suppressions de trains, la baisse du nombre de trains, la suppression de lignes, les réservations ouvertes à la dernière minute, tout cela décourage le voyageur. »

Joachim Holstein a exercé pendant 21 ans le métier d’agent de bord sur les trains de nuit de la Deutsche Bahn. Pour lui, ce mode de transport a deux avantages principaux : premièrement, il « désenclave certaines régions et villes moyennes qui ne sont pas desservies par la grande vitesse ». Deuxièmement, il « est moins énergivore que la grande vitesse, et 50 fois moins polluant que l’avion ».

Pour le collectif Back on Track, qui vient d’achever une semaine de mobilisation européenne, le train de nuit peut donc permettre aux pays européens de tenir leurs objectifs climatiques. Le collectif demande la création d’un réseau européen de trains de nuit avec une plateforme de réservation harmonisée. Il réclame également que « cesse la discrimination dont le train de nuit est victime par rapport au transport aérien et routier ». Joachim Holstein rappelle que l’avion est exonéré de taxe sur le carburant et de TVA sur les billets, tandis que les bus longue distance ne paient pas de péage aux frontières, contrairement aux trains. « Cette situation est complètement injuste au regard de l’avantage écologique des trains de nuit », explique-t-il. Sur ce point, la balle est dans le camp de la Commission européenne, qui doit recevoir une délégation du collectif fin avril à Bruxelles.

Par Violette Bonnebas 

A lire sur reporterre.net (24/04/2018)