Opposée à la politique migratoire de l’UE, MSF refuse l’argent européen
Depuis des mois, la colère des « French doctors » montait. Cette fois, la décision est prise. Le secrétaire général international de Médecins sans frontières (MSF), Jérôme Oberreit, l’a annoncé dans une conférence de presse organisée à Bruxelles : MSF ne veut plus recevoir d’argent européen. Par ce geste, l’organisation non gouvernementale (ONG) marque son « opposition à la politique de dissuasion menée par l’Europe. Une politique qui consiste à repousser les gens avec leurs souffrances, loin de côtes européennes », précise M. Oberreit dans un communiqué.

L’accord entre l’UE et la Turquie a joué un rôle important dans cette décision. « Ce deal a mis à mal le concept même de réfugié et a mis en danger l’idée de protection offerte par les Etats », rappelle le secrétaire général international de MSF. « Trois mois après l’accord UE-Turquie, que les gouvernements européens revendiquent comme un succès, les gens qui ont besoin de protection sont les grands laissés-pour-compte », soulignent les humanitaires.

Inquiétude de l’ONG

Cet accord a eu pour conséquence de bloquer sur les îles grecques plus de 8 000 personnes, y compris des centaines de mineurs non accompagnés qui vivent dans des conditions désastreuses, dans des camps surpeuplés.

« Ils craignent un retour forcé vers la Turquie, sont privés d’aide juridique, leur seul moyen de défense contre l’expulsion collective. La majorité de ces familles ont pourtant fui les conflits en Syrie, en Irak et en Afghanistan », insistent-ils dans un communiqué.

La dernière proposition de la Commission européenne, le 13 juin, a encore inquiété un peu plus l’ONG. Bruxelles souhaite en effet répliquer l’accord conclu avec la Turquie dans plus de seize pays en Afrique et au Moyen-Orient.

« Les pays qui n’endigueraient pas leur migration vers l’Europe ou ne faciliteraient pas les retours forcés verraient décroître leur aide au développement », s’offusque MSF, rappelant au passage que parmi ces pays on trouve la Somalie, l’Erythrée, le Soudan et l’Afghanistan, soit quatre des dix pays d’où partent les quotas les plus importants de réfugiés.

« Il faut protéger davantage »

« La préoccupation principale de l’Europe n’est plus de savoir comment ces gens seront protégés, mais comment on peut les maintenir le plus loin possible de l’Europe », dénonce M. Oberreit. Le responsable explique que, dans ce contexte, « MSF refuse désormais d’être financé par des institutions et des gouvernements dont les politiques font souffrir les gens » et appelle une nouvelle fois les gouvernements européens à modifier leurs priorités. « Plutôt que tenter de repousser toujours plus, ils doivent accueillir et protéger davantage. »

En 2015, MSF a reçu 19 millions d’euros des institutions européennes et 37 millions de onze Etats de l’Union européenne (Autriche, Belgique, République tchèque, Allemagne, Danemark, Irlande, Luxembourg, Pays-Bas, Espagne, Suède, Royaume-Uni). S’y ajoutent 6,8 millions octroyés par le gouvernement norvégien, dont l’ONG ne veut plus non plus pour son travail avec Frontex, l’agence européenne chargée de la surveillance des frontières et le contrôle de l’immigration clandestine.

MSF choisit donc aujourd’hui de se passer de 62,8 millions d’euros – un peu plus même, car les dons prévus pour 2016 étaient en augmentation. C’est ainsi que 8 % des fonds de l’ONG s’envolent puisqu’elle est financée à 92 % par des fonds privés provenant de 5,7 millions de donateurs répartis de par le monde.

MSF qui, depuis début 2015, a pris en charge 200 000 personnes en Méditerranée, estime que cette baisse de budget n’entachera pas sa capacité d’intervention, et que ne plus travailler avec l’argent européen renforcera son indépendance.

Par Maryline Baumard

A lire sur le site de lemonde.fr (17/06/2016)