Pollueur/payeur : condamné à de la prison pour avoir déversé 70 000 tonnes de déchets sur un site naturel
Lundi 6 mai, le tribunal correctionnel de Grenoble a condamnéla société Lafleur, située à Eybens en Isère, à 43 000 euros d’amende et 149 000 euros de provision sur dommages-intérêts pour avoir rejeté illégalement 70 000 tonnes de déchets dans une « zone naturelle d’intérêt écologique ». L’ancien gérant, Thierry Lafleur, a écopé d’un an de prison, dont six mois avec sursis, et d’une interdiction d’exercer son activité professionnelle pendant 5 ans.
70 000 tonnes de déchets déversés dans un espace naturel


La société facturait la mise en décharge des déchets de chantier sans le faire. Cela faisait huit ans que l’entreprise de terrassement et démolition Lafleur déversait ses déchets de chantier sur le bord de la rivière Isère, dans une ancienne gravière de la commune de La Pierre et l’étang Manon situé à côté. Interpellé de très nombreuses fois par l’administration française, la société Lafleur a ignoré tous les arrêtés de mise en demeure, d’amende administrative, et avait même détruit les scellés déposés par la police sur des appareils de concassage et criblage de l’entreprise.

Dans les 70 000 tonnes de déchets : du métal, des matériaux concassés de béton armé, des plaques de plâtre, de la laine de verre, laine de roche, des rails en aluminium, plastiques en tous genres, pneus usés, et même du ballast utilisé pour les voies de chemins de fer. Au total, plus de 48 000 m3 de déchets et de matériaux, stockés sur une surface de 13 000 m2, avec des hauteurs de remblai allant de 2 à 4 mètres, ont asséché la zone humide.

Pour la FRAPNA Isère, partie civile de l’affaire, cette pollution a « fortement perturbé le fonctionnement de la zone d’expansion des crues ce qui peut avoir des conséquences sur la sécurité des biens et des personnes. Ce bouleversement de la plaine alluviale de l’Isère compromet toutes ses fonctionnalités (stockage et purification des eaux, régulation des débits, etc.) et menace la biodiversité qu’elle abrite. »

Pollueur enfin payeur

Depuis 2011, la FRAPNA Isère s’est constituée partie civile avec d’autres organisations pour faire cesser cette pollution. Le Département de l’Isère, le Syndicat mixte des bassins hydrauliques de l’Isère, l’UNICEM et la Fédération de Pêche de l’Isère ont toutes demandé réparations pour le préjudice environnemental. La société Lafleur et son ancien gérant étaient ainsi poursuivi pour plus d’une dizaine d’infractions liées à l’environnement.

    « La condamnation pénale est exemplaire car dissuasive. C’est très rare d’obtenir une peine d’emprisonnement pour des affaires environnementales, cela constitue un message assez inédit et fort pour les pollueurs qui se croient au-dessus des lois. L’amende prononcée contre la société est proche de celle demandée par le Parquet (50 000 euros d’amende délictuelle et 7500 euros d’amende contraventionnelle). Pourtant, quand on sait que l’entreprise facturait au minimum 5€ HT la tonne pour le traitement des déchets inertes, on se rend compte de l’argent qu’elle a gagné en polluant (minimum 350 000€). Ce qui est d’autant plus aberrant, c’est qu’elle est certifiée MASE et QUALIBAT, cela interroge sur la rigueur du suivi de ce type de certifications. » Elodia BONEL, juriste à la FRAPNA Isère

Pour évaluer l’étendue du dommage environnemental, une expertise a été demandée par le tribunal, ses conclusions seront rendues dans le cadre d’une audience programmée pour le 2 décembre 2019. En attendant, le Tribunal correctionnel a condamné l’entreprise Lafleur à verser aux parties civiles 149 000 euros de provision sur dommages-intérêts. Il s’agit d’anticiper sur sa solvabilité afin de s’assurer qu’elle ne se mette en faillite pour éviter l’amende.

    « Le tribunal correctionnel de Grenoble a considéré que toutes les cautions partie civile étaient recevables, sauf la fédération de pêche de l’Isère car la personne morale (la société Lafleur) et physique (l’ancien gérant) ont été relaxées sur les infractions relatives à la pollution de l’eau. Nous espérons donc que les conclusions de l’expertise permettront également de comprendre pourquoi ce sont les seules qui n’ont pas donné lieu à une condamnation. » Elodia BONEL, juriste à la FRAPNA Isère

Surtout, cette expertise permettra de connaître très précisément l’ampleur du dommage environnemental et le coût d’une remise en état, indispensable pour enfin dépolluer le site naturel.

Par Laurie Debove (publié le 10/05/2019)
A lire sur le site La Relève et La Peste