Victoire des travailleuses de Lidl après une grève
Lidl : les raisons qui en font une lutte (et une victoire) exceptionnelle

C’est une belle nouvelle qui est tombée ce 1er Mai. Après sept jours de mobilisation, les travailleurs et travailleuses de chez Lidl ont arraché une victoire contre la pression extrême au travail. Voici quelques éléments à retenir d’une grève qui a été exceptionnelle à plus d’un titre.

Le mouvement a démarré avec une étincelle à Liège, qui a allumé la mèche d’un ras-le-bol généralisé. Chaque jour, plus de cent magasins étaient fermés. Les dépôts, bloqués jour et nuit. Grâce à cette lutte, la direction a dû cédé. Du personnel supplémentaire sera engagé et le tempo ralenti dans les magasins. Ces mesures sont arrachées à durée indéterminée, jusqu'à ce qu'une nouvelle convention soit adoptée.

Le boomerang de la pression

Lidl est connu pour la pression extrême qu’elle exerce sur ses employés. Elle a été illustrée entre autre dans le célèbre reportage de l’émission française Cash Investigation. Il suffisait de passer à n’importe quel piquet pour l’entendre de vive voix : « On nous demande toujours plus avec moins, témoigne une travailleuse de Lidl à Liège . La direction nous demande d’appeler une autre caissière dès qu'il y a trois clients dans la file. Sauf que ma collègue, elle est en train de mettre les surgelés et ne peut donc pas s’arrêter. »

Un ras-le-bol qui n’est pas différent au Nord du pays : « Parfois, les gens sont renvoyés à la maison au milieu de leur shift. Ce n’est normalement pas autorisé, mais beaucoup n’osent pas dire non. Plus tard, les heures non prestées doivent être récupérée, en faisant des très grosses semaine et en étant envoyés dans d’autres magasins. On reçoit nos horaires trois semaines à l’avance mais ils sont constamment modifiés. Cette flexibilité est intenable. Nous avons beaucoup de jeunes maman dans le magasin. Comment voulez-vous qu’elles organisent la prise en charge de leurs enfants dans ces conditions ? »

D’autres travailleurs ajoutaient : « Avant, quand une jeune était en formation, elle s'ajoutait au personnel déjà présent. Par exemple, si on travaille à cinq, quand la jeune était en formation nous étions six. Et bien, maintenant, la personne en formation fait partie des cinq personnes. Il y a donc une surcharge collective pour l'équipe, vu que la personne qui doit être formée ne sait bien entendu pas encore tout faire. » Une autre travailleuse : « Nous avons compté que nous faisons 20 km par jour en travaillant. »

La grève de Lidl était en ce sens avertissement au patronat : à toute pression, il y a tôt ou tard une contre-pression qui lui reviendra comme un boomerang en pleine figure.

Celles qu’on n’entend jamais se mettent debout

La grève à Lidl a illustré également la célèbre citation de Nelson Mandela : « Cela semble toujours impossible, jusqu'à ce qu'on le fasse. » Une grève chez Lidl, c’était censé être impossible. Pourtant, les salariées du groupe l’ont fait.

Malgré la pression et les intimidations qui sont cultivées dans le groupe vis-à-vis du personnel, celles qu’on n’entend jamais se sont mises debout et demandent le respect. Dans des conditions syndicales loin d’être évidentes. Souvent, quelques déléguées syndicales doivent couvrir plus de 20 magasins pour défendre leurs collègues. Cette grève a été une vraie école de la lutte sociale. Un très grand nombre de travailleurs ont adhéré d’ailleurs au syndicat pour la première fois.

Les caissières à 1200 euros contre l’homme aux 17 milliards

« N’oubliez jamais que le seul actionnaire de Lidl est la 1e fortune allemande. On vend des petits pois et c'est le plus riche d'Allemagne. Sur qui croyez-vous que sa fortune s'est faite, à part sur notre dos ? Plus de bras, un point c'est tout. » Voilà ce qu’écrivait sur son mur Facebook Françoise Malherbe, déléguée Setca chez Lidl.

Et il ne s’agit pas que d’une image. En 2010, la fortune du propriétaire de Lidl n’était encore « que » de 10,5 milliards d’euros. Elle est aujourd’hui de plus de 17 milliards. Chaque année, il amasse donc près d’un milliard supplémentaire. Plus de 5000 euros à la minute. Et, ce milliard, il va le chercher sur la pression qu’il exerce sur le travail des 300 000 salariés de Lidl. Il va le chercher sur les petits salaires et l’exploitation. Les grévistes de Lidl ont directement posé la question : vivons-nous pour enrichir une des plus grosses fortunes d’Europe ou travaillons-nous pour vivre dignement ? Ils ont clarifié le problème de la société capitaliste : c’est eux ou nous. L’indécence de leurs profits ou la dignité de nos salaires et conditions de travail.

Stop à la spirale vers le bas

Le patronat du secteur de la distribution (et le patronat en général) veut entraîner les travailleurs dans une concurrence infernale qui conduit à une « race to bottom », une spirale vers le bas : restructurations, explosion des franchisés, hard discount…

Tout est utilisé pour tirer les salaires et les conditions de travail vers le bas. En disant : « Vous devez baisser vos conditions de travail, car, chez la concurrence, c'est pire. » Ou « chez les franchisés, c'est pire. Soyez déjà contents de ce que vous avez. »

Mais la grève de Lidl a participé à freiner cette spirale vers le bas. Être solidaire de cette grève, c'était donc s'opposer à la stratégie de mise en concurrence des travailleurs et travailleuses. C'était retrouver ce qui constitue le capital le plus précieux du monde du travail : son unité, sa solidarité, son nombre.

Courageuses pour la population, des « crapules » selon le gouvernement

Des députés N-VA ont traité les grévistes qui se battent pour un peu de dignité de… « crapules »

« Quand on voit comment vous courez dans les magasins, qu’ils vous paient des cacahuètes et qu’ils gagnent des millions, on se dit que vous avez bien raison de vous battre. » Voilà un exemple parmi les nombreux témoignages que les grévistes ont reçus au piquet de la part des clients. Le soutien était également fort sur les réseaux sociaux.

Pourtant, si le soutien était bien présent dans la population, la grève ne plaisait pas du tout au gouvernement, qui a clairement choisi son camp. Avec des députés N-VA qui ont traité les grévistes qui se battent pour un peu de dignité de… « crapules ».

Les femmes en action

Françoise, Maria, Annie… Elles sont sur le pont de la résistance. C’est une grève portée principalement par des femmes, qui forment la majorité des salariées de Lidl. Et ce, malgré toutes les difficultés supplémentaires qu’elles ont.

Elles ont organisé la résistance, la solidarité… L’une allait conduire et reconduire son enfant du sport et, sur le chemin du retour, renforcer un piquet. L’autre mobilisait mari et famille pour pouvoir être au combat. Rachel, travailleuse au dépôt de Genk, témoignait : « Je reste jusqu’à 18h aujourd’hui, Stefaan reste avec les enfants. Ensuite, il vient pour la nuit et je rentre à la maison. » Sa collègue Isabelle racontait devoir, elle aussi, s’organiser : « Ces derniers jours, les grands ont dû s’occuper des petits. Pas le choix. »

Une grève nationale que certains tentent de communautariser.

La grève a démarré à Liège. Elle était un peu plus forte en Wallonie qu’en Flandre. Et plus forte en Flandre qu’à Bruxelles. Mais, pour l’essentiel, elle a touché tout le pays. Il suffit de voir la dernière carte des magasins en grève. Il suffit de voir que les cinq dépôts (trois en Flandre et deux en Wallonie) étaient bloqués.

Pourtant, certains politiciens ou intervenants dans les médias ont essayé de donner une couleur communautaire à ce conflit. Il s’agit là d’une stratégie bien connue. Souligner et exagérer des différences pour tenter et d’affaiblir le mouvement. Éloigner la colère du milliardaire Dieter Schwarz pour la détourner contre « le Flamand qui ne serait pas assez combatif » ou « les Wallons qui viendraient mettre le bordel en Flandre ». C’est une stratégie usée et répétée. Les travailleurs de Lidl y ont répondu par leur unité, leur combativité et leur solidarité.

Une lutte internationale

Peu de temps après que la grève démarrait en Belgique, les salarié.e.s de Lidl Portugal entraient en grève pour 48 heures. Pour les salaires et les conditions de travail. En septembre dernier, c’étaient les Français qui s’étaient mobilisés contre la pression intenable exercée par Lidl. Les salariés des Pays-Bas ont déjà manifesté leur solidarité. Et des messages sont arrivés d’un peu partout. Car c’est bien au niveau international que le « modèle » Lidl est contesté. La grève en Belgique, et la suite donnée par les portugais, constituent une source d’espoir et de motivation pour de nombreux travailleurs à l’étranger.

Jobs, jobs, jobs… oui mais quels jobs?

Il y a quelques semaines, le gouvernement se voulait rassurant. On perd de l’emploi à Carrefour, mais on en crée dans le hard discount. Aujourd’hui, on voit toute la réalité de cet « emploi » créé : super polyvalent, super intense, super flexible, super stressant et à super bas prix.

Pour le gouvernement, ce genre de job constitue le futur. Pour les travailleurs, il faut faire de ce futur le passé. Il y a un vrai choix de société. Et dans ce débat, le gouvernement a choisi son camp. Notamment en votant des loi de flexibilisation toujours plus forte du travail et en permettant les flexi-jobs - ces contrats 0 heures - dans la distribution. Il a choisi la voie d’une société toujours plus pressante et insécurisante. Une voie où la différence entre ce qui est bon et ce qui est mauvais se mesure selon la hauteur des profits que cela peut générer pour une poignée d’actionnaires.

Les travailleurs de Lidl ont en fait dit au patronat et au gouvernement : « On vaut mieux que ça ! » On veut vivre et pas survivre. Nous ne voulons pas d’une société où nous ne serions que de variables dans un bilan comptable. Nous sommes les vrais créateurs et transmetteurs de richesse. Nous sommes la société. Nous méritons le respect.

Dans la foulée de la grève en Belgique, les travailleurs et travailleuses de Lidl au Portugal ont lancé un mouvement. Une source d’espoir et de motivation pour de nombreux travailleurs à l’étranger.

Par Benjamin Pestieau
Lire sur le site du PTB - publié le 30 avril 2018