Expulsion: les juges européens condamnent les abus des banques espagnoles
Alors que plusieurs Espagnols expulsés de leur logement, faute de pouvoir rembourser leur crédit hypothécaire, se sont suicidés ces derniers mois, la Cour de justice européenne (CJE) a décidé de mettre le holà aux abus des banques qui n’ont pas hésité à jeter à la rue des centaines de milliers de personnes. Dans un arrêt rendu hier, elle a jugé que la loi espagnole, qui ne permet pas aux tribunaux de sursoir aux saisies immobilières lancées par les banques, est contraire au droit européen. « C’est une décision historique qui marquera un avant et un après dans la relation entre les détenteurs de crédits immobiliers et leurs banques », s’est réjoui Ruben Sanchez, porte-parole de l’association de consommateurs Facua. « L’exception espagnole a vécu et les expulsions doivent être bloquées », a ajouté Ada Colau, porte-parole de l’association des victimes des crédits immobiliers, tous deux cités par l’AFP.

La loi espagnole limite, en effet, les cas où un débiteur peut s’opposer à une procédure d’exécution d’une hypothèque (comme une saisie). Et les clauses abusives ne figurent pas dans les motifs qui peuvent être invoqués utilement. Autrement dit, une fois la procédure de saisie lancée, elle est irréversible et l’éventuelle annulation du contrat de prêt par un juge ne pourra donner lieu qu’au versement d’une indemnité. On comprend mieux, dès lors, que les conséquences de la crise immobilière en Espagne soient les mêmes qu’aux États-Unis où les gens se retrouvent brutalement virés de leur maison. Depuis 2008, selon des chiffres officiels, un peu plus de 415.000 ordres d'expulsions ont été lancés et un peu plus de 60 % exécutés....

Mais voilà, cette loi viole le droit européen selon la CJE. Elle juge que la directive européenne du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs « s’oppose à une réglementation nationale, telle que la réglementation espagnole en cause, qui ne permet pas au juge saisi de la procédure au fond – c’est-à-dire celle visant à déclarer le caractère abusif d’une clause – d’adopter des mesures provisoires, notamment la suspension de la procédure d’exécution, lorsqu’elles sont nécessaires pour garantir la pleine efficacité de sa décision finale ». Pour les juges de Luxembourg, une simple « indemnité », telle que prévue dans le droit espagnol, « ne constitue pas un moyen adéquat ou efficace pour faire cesser l’utilisation » des clauses abusives, notamment « lorsque le bien hypothéqué est le logement du consommateur lésé et de sa famille » qu’il perdra de façon « définitive et irrévocable ». « À partir d’aujourd’hui, tout juge qui détecte une clause abusive pourra, par mesure de précaution, ne pas expulser le consommateur », a expliqué José Maria Fernandez Seijo, le juge de Barcelone qui a saisi la Cour de Justice.

Mieux, la CJE s’interroge sur la légalité d’une série de clauses contenues dans la plupart des contrats hypothécaires espagnols. Ainsi en est-il de la « clause d’intérêts de retard » qui prévoit des intérêts de 18,75 % « automatiquement applicables aux montants non réglés à l’échéance, sans besoin de réclamation » : la Cour demande au juge espagnol de s’assurer qu’il ne s’agirait pas d’un taux usuraire.... Ou de « la clause sur l’échéance anticipée » qui permet à la banque d’exiger la totalité du prêt après un seul défaut de remboursement (capital ou intérêt) : la CJE semble indiquer qu’elle est purement et simplement léonine. Ou encore de la « clause sur la liquidation unilatérale de la dette impayée » qui permet à la banque de présenter directement la liquidation du montant de celle-ci afin d’engager la procédure d’exécution hypothécaire : là, c’est l’exercice des droits de la défense qui semble compromis.

On découvre, à l’occasion de cet arrêt, à quel point l’État espagnol a protégé les intérêts de ses banques au détriment de ceux de ses citoyens : il aura fallu que la justice européenne s’en mêle pour que le gouvernement s’engage à modifier sa loi controversée. Ce qui démontre aussi que « l’austérité » a bon dos pour expliquer ces expulsions massives : c’est en réalité tout un système devenu fou qui est en train de s’effondrer.

Au passage, on se demande pourquoi ce n’est pas la Commission qui a poursuivi l’Espagne pour violation du droit européen alors qu’elle a reconnu hier qu’elle savait qu’il y avait un problème. Entre des centaines de milliers d’Espagnols plongés dans la misère et les intérêts des banques, la Commission présidée par José Manuel Durao Barroso a manifestement tranché. 

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