L'Equateur sur le chemin d'un salaire maximum !

Rafael Correa, le président équatorien, l'a annoncé ce week-end : il envisage d'instaurer un salaire maximum dans les entreprises privées. Le rapport entre le plus bas et le plus haut salaire pourrait être fixé de 1 à 20. Des manifestations en réponse à cette mesure sont prévues cette nuit dans le pays.

«Si le directeur d'une banque veut gagner 60 000 dollars (près de 46 000 euros), parfait, mais ça n’excédera pas vingt fois le salaire de son travailleur le plus pauvre » a annoncé ce week-end le président équatorien, Rafael Correa, sans toutefois préciser s'il évoquait un revenu mensuel ou annuel... Sans doute, notre homme a-t-il avancé ce montant par pure provocation. Car l'important est ailleurs, dans le rapport de 1 à 20 retenu par le chef de l'Etat. Car c'est contre les « inégalités » que s'est érigé Rafael Correa, en faisant cette sortie dans son habituel espace de parole hebdomadaire, « Enlace Ciudadano », diffusé à la radio, sur les écrans de la télévision via les dizaines de chaînes pro-gouvernementales. Ainsi, si cette réforme voyait le jour, les salaires les plus élevés pourraient donc, selon nos calculs, ne pas dépasser 6 800 dollars (5 300 euros) par mois, soit vingt fois 340 dollars, le montant du Smic équatorien (262 euros), qui a plus que doublé sous la présidence Correa.

Calquée sur « Aló presidente », l’émission à succès de son ancien homologue vénézuelien et grand orateur Hugo Chavez, « Enlace Ciudadano » est diffusée depuis 2007, date de l’élection du président Correa, et ne vise pas seulement à tenir informés les électeurs des projets en cours ou en devenir mais à maintenir un lien direct avec la population. Qui d’ailleurs le lui rend bien. Avec 75 % de taux de popularité, Rafael Correa est en effet le dirigeant sud-américain le plus populaire.

Ce week-end cependant, l’annonce de l’instauration d’un salaire maximum tant dans le public qu’au sein des entreprises privées, a surpris. Elle intervenait de fait à quelques jours seulement d’une grande manifestation organisée à l’appel de plusieurs organisations syndicales, tous secteurs confondus, allant de la fonction publique aux peuples indigènes. Tous se réunissent aujourd'hui (cette nuit en France, ndlr) pour une « grande marche » contre la réforme du Code du travail, actuellement en préparation, qui inclura donc désormais le plafonnement des plus hauts salaires.

Un mécontentement auquel n’a pas tardé de réagir le chef de l’Etat. Sur Twitter, Correa a en effet anticipé cette semaine « difficile » et appelé ses sympathisants à se mobiliser eux-aussi, à Quito, la capitale. « S’ils sont 3 000 nous serons 30 000 » prévient-il. En face, les opposants déclarent ne pas vouloir « mesurer » leurs « forces » respectives. Ce sera pourtant l’occasion de le faire...

Car plusieurs autres mesures phares s’annoncent dans les prochains mois, comme l’augmentation possible du prix des transports publics dont les conséquences au Brésil, l'année dernière, ont été dévastatrices pour le parti des travailleurs (PT) de la présidente Dilma Rousseff. Jamais les Brésiliens n'avaient autant manifesté, par millions, dans les rues, sur les réseaux sociaux, poussant même le gouvernement à reculer. Mais un autre sujet inquiète : un amendement de la Constitution équatorienne est à l'étude. Celui-ci permettrait aux autorités en place, en particulier au président, de se représenter sans limite de mandats successifs. L'exemple du voisin vénézuelien, cette fois, est aussi éloquent. La mesure, soumise par référendum une première fois en 2007 puis en 2009 par Caracas est aujourd'hui encore et toujours contestée.

Demain, la mobilisation à Quito sera donc un test. Alors que la tension sociale est palpable depuis plusieurs mois. En témoignent les dernières municipales, tenues en février dernier et à l’issue desquelles les trois plus grandes villes du pays, Quito, Guayaquil et Cuenca ont toutes échappé à Alianza País, le parti au pouvoir.

En France, la question du salaire maximum n'est pas passée inaperçue. Sur le site internet du Parti de gauche, Jean-Luc Mélenchon rappelle en effet qu'il en avait fait l'une de ses principales propositions de campagne, lors de la présidentielle de 2012. François Hollande, lui, promettait alors d'imposer un « écart maximal de rémunérations de 1 à 20 » aux « dirigeants des entreprises publiques ». Un décret de juillet 2012 fixe bien un « plafond brut annuel », mais à 450 000 euros, soit en fait un écart de 1 à 26 si l'on se réfère au Smic comme salaire le plus bas.

Mais quid d'un tel dispositif dans les entreprises privées ? En mars 2013, le Figaro rapporte un sondage selon lequel 83 % des Français se déclarent favorables à une « loi instaurant un "salaire maximum " pour les dirigeants d'entreprises privées. » Proposition rejetée en Suisse huit mois plus tard à 65 % quand bien même le pays possède l'un des plus grands écarts de revenus, derrière les Etats-Unis et le Canada. « En moyenne, écrit à l'époque France 24, un dirigeant helvète gagnait en 2012, 148 fois plus que son employé lambda. » C'est 108 fois pour la France...

Par Patricia Neves (17/09/14)
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