Procès de Tarnac : Julien Coupat et Yildune Lévy relaxés
Le tribunal a montré les insuffisances de l’enquête, qui n’a pas prouvé qu’ils étaient les auteurs du sabotage d’une ligne de TGV en 2008.

Christophe Becker a été condamné, jeudi 12 avril, à quatre mois de prison avec sursis et 500 euros d’amende pour « recels de vols » (de cartes d’identité), « tentative de falsification d’un document administratif » et « refus de se soumettre à un prélèvement biologique ». Voilà tout ce qui reste, dix ans après son déclenchement, de l’« affaire de Tarnac » : une peine insignifiante infligée à un personnage secondaire pour des délits mineurs.

Julien Coupat et Yildune Lévy, eux, ont été relaxés, tant pour les faits d’« association de malfaiteurs » que de « dégradations en réunion » qui leur étaient reprochés – le sabotage d’une ligne de TGV à Dhuisy (Seine-et-Marne), dans la nuit du 7 au 8 novembre 2008. Ils ont été reconnus coupables de « refus de se soumettre à un prélèvement biologique », mais dispensés de peine. Les cinq autres prévenus, qui comparaissaient pour ce même délit ou pour « association de malfaiteurs », ont été relaxés également.

Il y a dix ans, tous avaient été mis en examen pour « association de malfaiteurs en vue de préparer des actes de terrorisme », et le procureur de Paris, Jean-Claude Marin, les avait rangés dans « une structure appelée “cellule invisible” qui avait pour objet la lutte armée ». Dans le jugement longuement motivé qu’elle a rendu jeudi, Corinne Goetzmann, présidente de la 14e chambre du tribunal correctionnel de Paris, a achevé de dégonfler l’affaire : « L’audience a permis de comprendre que le “groupe de Tarnac” était une fiction. »

« Le château de cartes politique et policier vient de s’écrouler, dix années de procédure ont été balayées en trois semaines d’audience », a réagi Me Marie Dosé, l’avocate de Yildune Lévy. Pour les mois – respectivement six et deux – passés pour rien en détention provisoire, Julien Coupat et Yildune Lévy sont en droit de réclamer un dédommagement. Le parquet peut, lui, faire appel et obtenir la tenue d’un nouveau procès. « S’il veut continuer à être roué de coups, libre à lui », a persiflé Me Jérémie Assous, l’avocat de Julien Coupat.

Errances des policiers

La perspective est peu probable. Car, si Corinne Goetzmann a fait comprendre, non sans ironie, que l’explication fournie par les prévenus quant à leur présence dans la zone du sabotage – une escapade romantique – ne l’avait guère convaincue, elle ne l’a pas plus été par le scénario présenté par le procureur : « Si la conception qu’ont Julien Coupat et Yildune Lévy d’un week-end en amoureux, consistant à passer près de quinze heures dans un véhicule à sillonner des routes départementales et à dormir dans ce même véhicule en bordure d’une zone industrielle pendant une nuit de novembre, peut laisser dubitatif, la recherche des explications [de leur trajet cette nuit-là] relève d’un travail d’interprétation, nécessite de formuler des hypothèses qui ne seraient pas des preuves susceptibles d’emporter la conviction du tribunal. » Les fondations de l’accusation n’étaient pas assez solides. Elles étaient même viciées, a estimé la présidente.

« Ce que vous allez devoir juger, ce ne sont pas que des faits, ce sont aussi des méthodes », avait affirmé Me Assous fin mars à l’entame de sa plaidoirie, qui s’achevait ainsi : « La question à laquelle vous devrez répondre est la suivante : est-ce que vous validez ces méthodes ? En refusant de les sanctionner, vous les encouragerez. »

Le procès de Tarnac a bel et bien été celui de l’antiterrorisme, et le jugement rendu par Corinne Goetzmann sonne presque moins comme la relaxe des prévenus que comme la condamnation des méthodes du juge d’instruction et des policiers, dont la présidente a souligné les errances, voire la « déloyauté » sur un point précis : le témoignage anonyme du témoin « T42 » très à charge contre Julien Coupat, que ce même témoin dédouanait dans un second témoignage recueilli, celui-là, sous sa véritable identité. Crédibilité nulle, selon le tribunal.

« Humiliation pour les services de l’antiterrorisme »

Crédibilité à peine moins nulle pour l’autre pièce majeure de l’accusation, le fameux « PV 104 ». Achevant la fructueuse entreprise de démolition entamée par Me Assous il y a près de dix ans et poursuivie tout au long du procès, Corinne Goetzmann a dit tout le mal qu’elle pensait de ce procès-verbal de filature censé démontrer la présence du couple Coupat-Lévy à proximité du lieu du sabotage la nuit des faits. Elle en a pointé les « erreurs, insuffisances et imprécisions » qui « ne peuvent qu’amoindrir sa force probante ».

Selon la magistrate, ce PV souligne surtout « ce que les enquêteurs n’ont ni vu, ni observé, ni constaté » en dix-neuf heures de filature, à savoir « l’achat des tubes [ayant servi à hisser un crochet sur la ligne de TGV sabotée], la présence des tubes dans le véhicule [du couple Coupat-Lévy], la pose du crochet sur la caténaire, le jet des tubes dans la Marne. Ainsi, ce PV ne démontre pas que Julien Coupat et Yildune Lévy seraient les auteurs des dégradations ».

« C’est une humiliation pour les services de l’antiterrorisme de l’époque, peut triompher Me Assous. Dans son jugement, estime-t-il, Corinne Goetzmann « a rappelé que le droit français était régi par un certain nombre de principes que vous ne pouvez pas bafouer, même si vous êtes un agent de la sous-direction antiterroriste ». Le message de la magistrate est clair : si un juge ne peut pas avoir confiance en les méthodes des juges instructeurs ou des enquêteurs, il ne peut pas condamner.

A l’annonce de sa relaxe, Yildune Lévy a fermé les yeux et soupiré de soulagement. Julien Coupat, lui, n’avait pas souhaité gratifier le tribunal de sa présence, pas plus que son compère Mathieu Burnel. « C’est à l’image de leur comportement tout le reste de l’audience », a marmonné Corinne Goetzmann en constatant leur absence.

Cet ultime coup d’éclat vient accentuer le paradoxe que constitue l’épilogue de cette affaire : Julien Coupat a passé tout le procès à ensevelir sous son mépris une institution judiciaire qui vient pourtant de le sauver. Trois semaines d’audience quand une seule aurait suffi, une écoute totale en dépit de leurs provocations : admirablement incarnée par Corinne Goetzmann, la justice a offert aux prévenus du procès de Tarnac ce qu’elle fait de mieux. Au bout de dix ans d’une procédure ayant bouleversé leurs existences, on peut estimer qu’elle le leur devait.

Par Henri Seckel

Lire sur le site de Le Monde (13.04.2018)