Pour sauver les producteurs de cacao, le Ghana et la Côte d’Ivoire créent un cartel afin de faire face aux industriels
C’est un plan de survie inédit. Alors que la majorité des cacaoculteurs vivent avec moins de trois dollars par jour, les deux plus gros producteurs de cacao au monde, la Côte d’Ivoire et le Ghana, ont noué une alliance pour remonter les prix du cacao, trop instables et bas. Si les industriels comme Mars et Cargill ont publiquement soutenu cette démarche, un contrôle des prix pourrait en réalité être contre-productif.

La situation dans laquelle vivent les producteurs de cacao est désastreuse. Selon un rapport de la Banque mondiale paru cet été, en Côte d’Ivoire, plus de la moitié des cacaoculteurs vivent sous le seuil de pauvreté. La Côte d’Ivoire et le Ghana représentent plus de 65 % de la production mondiale du cacao. D’où la récente alliance, inédite, réalisée entre les deux pays pour contraindre les industriels à remonter les prix, très instables et en baisse depuis des années.

Les deux nations, pourtant concurrentes, ont menacé les grands groupes de ne plus les fournir si un prix plancher n’était pas fixé. Après négociation, c’est l’idée d’une prime de 400 dollars la tonne qui a fait son chemin. Même si son système n’a pas été clairement révélé, elle sera destinée aux producteurs et permettra d’abonder un fonds pour la filière en cas de panne.

Mars, Cargill… Le soutien officiel des industriels

« Il faut avoir en tête que les cours mondiaux, c’est de la spéculation, et je pense que les industriels sont conscients de l’impératif de mieux payer les producteurs, ne serait-ce que pour la durabilité de la filière », a affirmé à Mediapart Yves Brahima Kone, président ivoirien du Conseil café-cacao (CCC). Plusieurs groupes ont ainsi publiquement affiché leur soutien à une revalorisation du prix du cacao. Cargill, le leader mondial de la transformation de cacao a publié un communiqué dans lequel il dit partager « l’ambition des gouvernements du Ghana et de la Côte d’Ivoire d’améliorer les revenus des producteurs de cacao et d’assurer la durabilité à long terme ».

Pour Mars, « l’augmentation des revenus des producteurs » est même « la clé d’un secteur du cacao prospère », a ainsi expliqué au Wall Street Journal Joseph Gerbino, directeur mondial des communications du groupe. Ainsi, depuis le mois d’août, le cours du cacao a bondi de 20 % pour atteindre 2 570 dollars la tonne. L’accueil bienveillant de ces deux industriels constitue un fort enjeu réputationnel. La filière du chocolat a pendant longtemps été pointée du doigt pour ses dérives, du travail des enfants à la dégradation de l’environnement. Et les consommateurs ont désormais conscience de ces enjeux.

Une augmentation du prix contre-productive ?

Mais à long terme, le travail de ce « cartel du cacao » pourrait s’avérer contre-productif. C’est en tout cas l’analyse de plusieurs experts du marché. »L’intervention sur le marché ne fonctionne pas », assure dans le Financial Times Jean-François Lambert, ancien banquier et consultant en matières premières. Et le journal d’expliquer : « Bien que ce soit la première fois que les gouvernements ivoirien et ghanéen coopèrent dans le secteur du cacao, le marché est jonché de tentatives des pays producteurs de contrôler les flux d’approvisionnement et de consolider les prix, ce qui n’a fait qu’exacerber l’effet « montagne russes » des cours ».

Les experts craignent en effet que l’augmentation du prix de la fève noire engendre une hausse de la production et donc un excédent qui provoquera à nouveau une baisse des prix. La difficulté sera au final de limiter la production. « Comment allez-vous dire aux agriculteurs de produire moins si c’est la seule manière de gagner leur vie ? », s’interroge dans Investing.com Cobus de Hart, économiste à NKC African Economics. « Le pétrole peut rester dans le sol, mais il va être difficile d’amener les agriculteurs à arrêter de produire », explique-t-il par analogie avec le cartel de l’Opep.

Par Marina Fabre (publié le 21/01/2020)
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