En Ariège, relaxe des anti-glyphosate au nom de l’état de nécessité
En Ariège, vingt-et-un activistes étaient jugés pour avoir recouvert de peinture des bidons de pesticides contenant du glyphosate. Ils ont été relaxés mardi 1ᵉʳ juin : le tribunal a reconnu que les dangers potentiels ces produits pour la santé humaine et l’environnement étaient plus importants que l’infraction commise.

C’est une décision qui pourrait faire évoluer le droit. Mardi 1ᵉʳ juin, le tribunal de Foix (Ariège) a relaxé vingt-et-un militants opposés au glyphosate. En 2016 et 2017, dans trois magasins de bricolage du département, ils avaient recouvert de peinture des bidons de pesticides comprenant cette molécule, dangereuse pour la santé humaine et l’environnement. Des mobilisations similaires avaient également eu lieu à la même époque en Ardèche, dans l’Hérault ou encore dans le Morbihan — où les activistes ont depuis été condamnés à des peines de quelques centaines d’euros avec sursis.

En Ariège, les militants poursuivis pour « dégradation de bien d’autrui en réunion » sont les premiers à être relaxés. Mieux encore : le tribunal de Foix l’a fait au nom de l’état de nécessité. « Cela veut dire que les enjeux de santé et d’environnement sont plus importants que l’infraction qui a été commise, explique Me Guillaume Tumerelle, l’avocat des vingt-et-un prévenus. La justice reconnaît l’infraction mais la justifie : le tribunal a pris pleinement conscience du danger de ces pesticides. »

La décision aura mis du temps à voir le jour. En août 2017, un premier procès s’était tenu, où Me Tumerelle avait demandé au tribunal de Foix de saisir la cour de justice de l’Union européenne (CJUE) pour statuer sur la conformité de l’évaluation européenne des pesticides avec le principe de précaution. À la surprise générale, le tribunal avait accepté de transmettre la demande. Deux ans plus tard, en octobre 2019, la CJUE a confirmé la validité des règles européennes.

Toutefois, dans son arrêt, elle a aussi rappelé que le règlement imposait une analyse du produit complet, et pas uniquement d’une seule de ses molécules. Par exemple, le glyphosate est l’une des molécules composant l’herbicide RoundUp, mais elle n’est pas la seule — et le mélange de toutes ces substances peut démultiplier l’effet toxique du produit. Or l’Autorité européenne de sécurité des aliments admet elle-même que « le système de l’Union européenne évalue chaque substance chimique individuelle et chaque mélange commercialisé, de manière séparée. »

« Sous-évaluation des risques » de l’effet cocktail

« Cet arrêt de la CJUE a démontré que le règlement n’était pas correctement appliqué », résume Me Guillaume Tumerelle. Un avis qui a conduit le tribunal de Foix, après un deuxième procès en mars 2021, à déduire « la sous-évaluation des risques des produits en cause ». « Face à ce danger, cette action nécessaire visant à informer la population ainsi que les responsables des magasins en cause, face à ce danger particulièrement insidieux, répond à l’exigence de proportionnalité exigée par la notion d’état de nécessité », a-t-il conclu dans son délibéré rendu public mardi 1ᵉʳ juin, rappelant que la mobilisation s’était effectué sans violence et que les militants avaient déployé une bâche de protection au sol pour ne pas abîmer les autres produits des magasins. Lors de l’audience, un responsable des boutiques concernées a même affirmé que cette action lui avait permis d’apprendre beaucoup sur le sujet, et qu’il portait désormais un autre regard sur ces pesticides vendus.

En décembre 2019, le tribunal de Perpignan avait aussi invoqué l’état de nécessité pour relaxer un faucheur volontaire d’OGM. « Cela fait déjà deux jugements sur cette raison en quelques mois, cela peut faire jurisprudence dans d’autres dossiers », dit Me Tumerelle. De plus en plus de militants écologistes tentent de faire reconnaître cette raison pour justifier des actions de désobéissance civile, comme les décrocheurs de portraits d’Emmanuel Macron par exemple.

L’interprétation de l’arrêt de la CJUE pourrait aussi faire évoluer le droit européen. Il avait été réclamé par la France, mais la décision s’applique bien à tous les États membres de l’Union européenne. D’après l’avocat, « cet aspect de sous-évaluation de la toxicité pourrait avoir un impact dans des procès de victimes de produits phytopharmaceutiques, ou pour contester l’autorisation de mise sur le marché de produits pas suffisamment testés. »

Par Justine Guitton-Boussion (publié le 04/06/2021)
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