« Les Scop prouvent qu’un ouvrier, un artiste, une secrétaire peuvent gérer une entreprise »
Anne-Catherine Wagner est professeure de sociologie à l’Université Paris 1 et chercheuse au Centre européen de sociologie et de sciences politiques (CESSP). Elle a d’abord travaillé sur la mondialisation et ses élites ainsi que ses mécanismes de domination, puis sur le syndicalisme européen et la Confédération européenne des syndicats comme moyen de résistance à ces mécanismes.

Afin d’explorer d’autres formes de résistance, elle s’est intéressée aux Scop, les sociétés coopératives et participatives. Elle a publié en 2022 Coopérer. Les Scop et la fabrique de l’intérêt collectif, chez CNRS éditions. Elle y distingue notamment une génération historique de Scop ouvrières militantes d’une nouvelle génération de Scop dans les services, motivées par des projets à finalité éthique.

Pourquoi vous êtes-vous intéressée aux Scop ?

Anne-Catherine Wagner : J’ai beaucoup travaillé sur la mondialisation, les nouvelles formes de domination qu’elle implique, sur les mécanismes qui font que, toujours, le capital va au capital. Il y a certes des organisations syndicales, au niveau européen notamment, qui sont des moyens de résistance à ces mécanismes de domination. Mais face à la financiarisation des entreprises, les salariés sont le plus souvent démunis. Les centres de décision ont tendance à s’éloigner de leur lieu de travail. Et les organisations syndicales demeurent moins efficaces que les lobbies patronaux à Bruxelles.

Les salariés sont ainsi soumis à des décisions sur lesquelles ils n’ont pas de prise : des usines parfaitement rentables sont arrêtées simplement parce qu’elles ne rapportent plus assez aux actionnaires ; des productions sont stoppées en dépit de leur utilité sociale ; on délocalise sans considération pour les conséquences sociales ou environnementales. J’ai alors cherché les alternatives à ces logiques purement financières de gestion et à la dépossession des salariés. Et j’ai découvert les Scop sur lesquelles je travaille depuis 2016.

Comment caractériser les Scop ?

A.-C. W. : Ce sont des structures où les salariés sont propriétaires de leur entreprise et partie-prenants dans la gouvernance de celle-ci. Ils doivent en effet détenir au moins 50 % des parts sociales et 65 % des droits de vote qui s’organisent selon le principe « une personne, une voix ».

Ce sont ceux qui travaillent qui prennent les décisions les concernant, notamment en se réunissant lors de l’AG annuelle. Celle-ci permet de valider les grandes orientations stratégiques et d’élire les dirigeants. Par ailleurs, les bénéfices sont obligatoirement partagés en trois parts : la « part entreprise » désigne les réserves impartageables, qui restent dans l’entreprise, que l’associé ne récupère pas à son départ ; la « part travail » est redistribuée aux salariés ; et la « part capital » rémunère les parts sociales des associés (c’est-à-dire aussi, en général, des salariés).

Cela change complètement le fonctionnement de l’entreprise puisque la propriété du capital est incarnée par les salariés. L’objectif de l’activité n’est pas de maximiser la valeur actionnariale, mais de servir l’intérêt collectif, la pérennité de l’entreprise et les emplois notamment.

Comment les Scop ont-elles évolué au cours de l’histoire ?

A.-C. W. : A l’origine, le sigle Scop correspondait à société coopérative ouvrière de production (depuis 2011, il signifie société coopérative et participative). Et de fait, l’histoire des Scop s’ancre dans celle des coopératives ouvrières au XIXe siècle, nées dans le milieu de l’artisanat très qualifié, sur le modèle d’une aristocratie ouvrière, très liée au syndicalisme.

Cette élite ouvrière souhaitait contrôler ses moyens de production. Et c’est ainsi que les projets de Scop ont d’abord essaimé, notamment avec des ouvriers qui se réunissaient pour reprendre des entreprises en difficulté. Les Scop sont nombreuses dans le bâtiment aussi.

Mais depuis les années 1990, on assiste à une diversification des types d’entreprises, avec beaucoup de créations ex-nihilo. Et même si, aujourd’hui, il y a encore beaucoup de Scop dans l’industrie ou dans le bâtiment, près de la moitié d’entre elles exercent dans les services. Cela se traduit par une diversification socioprofessionnelle, avec plus d’employés et de cadres, et aussi par une féminisation des effectifs.

Parallèlement, le projet des Scop a évolué. Il s’agissait à l’origine d’un outil pour permettre aux ouvriers de reprendre le contrôle de la production. Il s’agit aujourd’hui souvent de changer la production elle-même afin qu’elle respecte des critères sociaux et environnementaux, qu’elle soit en adéquation avec les valeurs des nouveaux coopérateurs. Beaucoup des Scop qui se créent sont dotées d’un projet éthique et veulent contribuer à l’intérêt général : ce sont par exemple des organismes d’insertion, des commerces bio, des sociétés de conseil en environnement, des services informatiques spécialisés en logiciel libre, etc. Les salariés veulent donner un sens à leur travail...

Par Naïri Nahapétian (publié le 13/08/2022)
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