En meilleure santé et sans se ruiner : ça existe en Allemagne, pourquoi pas en Belgique?
Notre système de santé craque de partout: pénurie de personnel infirmier, pénurie de médecins généralistes, longues listes d’attentes chez le psy, factures salées après une visite à l’hôpital… Pour garantir le droit à la santé, des changements s’imposent. Médecine pour le Peuple est donc à l’affût des bonnes expériences à l’étranger. C’est ce qui nous a menées à Hausach en Allemagne, dans la région de la Forêt noire. S’y trouve un système de santé pas comme les autres: Gesundes Kinzigtal.

Aurélie Decoene travaille au service d’études de Médecine pour le Peuple. Serima Tebbache est pédiatre et a tiré en 2021 la grève des médecins assistants pour de meilleures conditions de travail.

Gesundes Kinzigtal, c’est quoi?

« Gesundes », ça veut dire « en bonne santé ». Kinzigtal, c’est le nom de la région. Une région rurale de 80.000 habitants où les médecins travaillent autrement. Leur ambition? Rendre la population en meilleure santé. Ça passe entre autres par éviter que les gens ne tombent (vraiment) malades. C’est ce qui s’appelle investir dans la prévention. Car ils en sont convaincus: 90% des problèmes de santé peuvent être résolus en dehors de l’hôpital.

Plus de prévention, moins de ministres

Vouloir éviter que les gens ne tombent malades, ça a l’air évident dit comme ça. Mais le système de santé en Belgique ne fonctionne pas dans cet objectif. Un exemple: les médecins et les hôpitaux sont payés en fonction du nombre de consultations et d’examens qu’ils réalisent, pas en fonction de leurs résultats. Cela conduit à du gaspillage et ne stimule pas à prévenir les maladies. Les investissements pour empêcher que les gens ne tombent malades sont aussi ridiculement bas. Pour l’ancien député N-VA Lorin Parys, devenu patron de la Pro League de football, la raison est la suivante: “C’est évidemment parce que chaque euro investi (par la Flandre) dans la prévention profite au fédéral.” Absurde. Avoir neuf ministres de la santé, voilà où ça nous conduit. Ça doit changer.

1. Le projet

Étape 1 : se connaître et travailler ensemble

Le projet commence en 1992, quand quelques médecins de la région de Kinzigtal décident de s’associer pour rendre le système de santé plus efficace. Comme beaucoup de généralistes en région rurale, la charge de travail est colossale. Chacun travaille dans son coin, 7 jours sur 7, d’urgence en urgence. Peu ou pas de vacances. Résultat: le métier ne donne pas envie et les jeunes médecins préfèrent souvent déménager en ville.

En collaborant les uns avec les autres, ils apprennent les points forts de chacun, se répartissent les gardes, etc. Un des médecins fondateurs nous raconte: « On s’est à un moment rendu compte que les résidents des maisons de repos qui étaient envoyés à l'hôpital l’étaient le plus souvent entre 19h et 21h. Pourquoi ? Parce que les médecins généralistes sont peu disponibles à cette heure et que les soignants en maisons de repos voyaient souvent comme seule solution d’appeler une ambulance. » Ils mettent alors deux solutions en place : ils créent un numéro de garde appelable en soirée jusqu’à 21h et ils créent des protocoles en collaboration avec les soignants des maisons de repos pour définir la prise en charge nécessaire en fonction des problèmes rencontrés.

Ils créent progressivement des lignes directrices pour tous les problèmes fréquents (comme le tabagisme, la sédentarité, le diabète, l’ostéoporose, l’obésité, la dépression, etc.). Avant, chacun travaillait seul. Aujourd’hui, ces lignes directrices règlent 80% de leur travail. Cela permet de gagner beaucoup de temps et les meilleures conditions de travail aident à convaincre les jeunes médecins de s’installer là.

Étape 2 : la santé comme objectif

Le projet prend une nouvelle envergure en 2005 quand le réseau de médecins décide de s’associer à l’organisation OptiMedis. Leur leitmotiv: produire de la santé et donc investir un maximum dans la prévention des maladies. Cette démarche présuppose un type de financement spécifique qui donne une certaine liberté à Gesundes Kinzigtal pour investir en fonction de son objectif. Pour chaque patient, ils reçoivent un certain montant chaque année, que la personne ait eu recours au système de soins de santé ou pas. Ce type de financement pousse à éviter que les gens ne tombent malades. C’est ce qu’on appelle un financement groupé. C’est l’exact opposé du financement qu’on a en Belgique. Ici, la majorité des médecins sont payés en fonction du nombre de malades qu’ils voient en consultation ou font passer sous un scanner.

La moitié des médecins généralistes de la région a entre-temps adhéré au projet. Ils travaillent avec des médecins spécialistes (cardiologues, pédiatres, gynécologues…) et quelques kinés. Cela fait une cinquantaine de médecins en tout. Toutes les six semaines, ils se voient en équipes pluridisciplinaires, c’est-à-dire entre médecins qui ne font pas le même métier (en Belgique, ça ne se fait pas). Ils collaborent activement avec des hôpitaux, des maisons de repos et des pharmacies. Ils disposent d’un grand centre de santé où se réunir et où les patients inscrits peuvent faire du sport. Et tout ça au milieu des montagnes pour une population de 35.000 patients répartis sur une dizaine de villages. Vous imaginez ça au milieu des Ardennes?

Une pénurie sous contrôle

La pénurie de jeunes médecins est maintenant sous contrôle car il y a beaucoup d’avantages pour eux à travailler à Gesundes Kinzigtal. En plus des échanges pluridisciplinaires avec d’autres sortes de médecins, ils reçoivent également un grand soutien administratif et informatique. Ils évaluent que 30% des jeunes médecins quitteraient demain la région si Gesundes Kinzigtal venait à s’arrêter.

Le principal sujet de débat avec les jeunes médecins? Ils veulent devenir salariés car cela permet un meilleur équilibre entre travail et vie privée. Les anciens, qui sont tous restés indépendants, envisagent donc sérieusement de passer à un système de salariat dans les cinq ans à venir.

2. Les patients

Les résultats sont là

En quelques années, la durée de vie des patients s’est rallongée de 1,2 année. Les patients âgés peuvent vivre 1,4 année de plus sans avoir besoin de soins à domicile. Cerise sur le gâteau: cela coûte moins cher, cela fait économiser environ 40 millions d'euros. La moitié de cette somme est réinvestie en prévention, la moitié est reversée aux assureurs publics qui financent le projet...

Par Aurélie Decoene (publié le 26/01/2023)
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