École, mairie, théâtre... À Lyon, un quartier expérimente le zéro déchet
Depuis un an, le 9e arrondissement de Lyon expérimente un dispositif Quartier zéro déchet. École, mairie, bibliothèque... Tous s’y mettent pour diminuer les détritus, non sans difficultés.

Rêvons un peu. C’est la fin d’une matinée de marché place Valmy, à Lyon. Pourtant, le sol pavé est immaculé. Les légumes invendus ont été intégralement récupérés par des associations de lutte contre le gaspillage alimentaire et finiront en ratatouille distribuée gratuitement. Les boucheries, pâtisseries et restaurants des rues alentour proposent à leurs clients de récupérer leur repas dans leurs propres Tupperware. Au sein des immeubles, le prêt d’un appareil à raclette, d’un aspirateur ou d’une perceuse tient du commun... Tout a été pensé à l’échelle d’un quartier pour réduire la production de déchets.

Un doux songe ? C’est pourtant l’horizon que visent les associations Mouvement de palier et Zéro déchet Lyon dans le 9e arrondissement de la ville. Le quartier de Vaise y est depuis un an le laboratoire du dispositif Quartier zéro déchet (QZD), soutenu par la mairie d’arrondissement et l’Agence de la transition écologique (Ademe).

Son objectif : sensibiliser et accompagner tous les acteurs locaux pour qu’ils réduisent leur production de détritus. Plus vaste que l’échelle personnelle, plus atteignable que l’échelon national, ce maillon territorial permettrait selon ses auteurs de réduire efficacement les déchets de proximité.

Déployée sur trois ans depuis 2022, cette expérience essuie encore les plâtres : souci de visibilité, difficultés à toucher tous les publics, effets complexes à mesurer… « Nous nous sommes cassé les dents sur beaucoup d’aspects », admet sans fard Claire Dulière, de Zéro déchet Lyon.

Les membres du QZD ont donc affiné la méthode au fil de l’eau avec deux questions en guise de cap : comment engager les habitants ; comment mener au changement de comportement ? Leur but, « servir de modèle pour que d’autres QZD éclosent ailleurs », ambitionne Sarah Desmurs, de Mouvement de palier.

Poubelles cernées de flèches colorées

Première étape : définir un périmètre d’action qui concilie ambition et faisabilité. « Il fallait un lieu de vie où les gens se rassemblent », dit Sarah Desmurs. Les deux jeunes femmes ont choisi la place Valmy, au cœur de l’arrondissement. La mairie d’un côté, la médiathèque de l’autre, un centre social à proximité, des rues bordées de commerces et un marché hebdomadaire… Comme « un sentiment de village », décrit Claire Dulière. Et surtout l’occasion d’y organiser des événements.

Le QZD se déploie sur la place en plusieurs volets d’ateliers, d’expositions et de formations. Les associations comptent également sur un noyau d’une trentaine de militants pour faire de l’affichage et organiser des rencontres de quartier. Formatrice de profession, Cécile Bonfante est l’une de ces ambassadrices. Habitante du quartier depuis trente ans, elle a l’habitude de désamorcer les idées reçues : le zéro déchet serait contraignant, demanderait trop d’effort, coûterait de l’argent…

« Les gens s’en font une montagne, dit-elle. On montre que ça permet de faire des économies, en expliquant où trouver des vêtements de seconde main, comment faire réparer ses appareils ménagers, et que chacun peut faire à sa façon selon son temps. »

Pour faire vivre le quartier, les associations ont voulu « l’ancrer dans le regard des habitants ». Bombe acrylique et pochoir à la main, l’artiste locale Christina Agssarkissian a mis en valeur les dispositifs urbains liés aux déchets. Bulles, triangles et flèches colorées aiguillent les passants vers les poubelles, fontaines à eau et composteurs du quartier. La communication du dispositif bénéficie également de l’appui de la mairie du 9e.

« On a un rôle d’ouvreur de portes », dit Marion Crétinon, adjointe à l’emploi, l’économie durable et la vie commerçante de l’arrondissement. La collectivité soutient financièrement le QZD, l’accompagne en lui faisant accéder aux panneaux publicitaires et en l’insérant sur ses événements municipaux.

Protège-cahiers en tissu, pot de colle réutilisable...

Malgré ces efforts, le QZD peine à s’implanter. « Je m’attendais à plus d’émulation, dit Cécile Bonfante. On est dans un quartier populaire, une partie de la population a des difficultés financières et certainement d’autres priorités. » Ce constat a provoqué un changement de braquet, amenant le QZD à aller chercher les communautés déjà existantes.

Écoles, bibliothèque, théâtre, mairie d’arrondissement, associations de quartier et de commerçants… Le QZD s’est greffé sur les écosystèmes locaux pour faire évoluer leurs pratiques, créer des passerelles interprofessionnelles et toucher leurs usagers.

    « Atteindre des gens qui ne sont sensibilisés »

Surplombant la place Valmy, la médiathèque est l’un de ces « lieux-relais », comme les appelle Bruno Longeon, bibliothécaire chargé du partenariat. Entre les allées de livres se rencontre un public « d’âges, de catégories sociales et de diplômes très différents », décrit-il, des étudiants aux mères de famille en passant par des personnes venues chercher un accompagnement numérique, ce qui « permet d’atteindre des gens qui ne sont pas du tout sensibilisés ».

Autour d’un stand, Zéro déchet Lyon propose régulièrement des ateliers « gérer son budget, être écolo et économe », des dégustations de substituts aux sodas et des discussions sur l’écoanxiété.

Le QZD offre également un accompagnement pour améliorer les pratiques internes aux organisations. Cette collaboration a permis au Théâtre Nouvelle génération de Vaise de revoir sa politique d’achat, limiter les emballages liés à la restauration et mener une approche scénographique qui réutilise le plus de matériel possible.

L’école Chapeau rouge, elle, a bénéficié de l’élan de Clémence Vanbrabant, la maîtresse des lieux, qui avait déjà des pratiques antigaspi. « J’étais engagée dans une démarche zéro déchet de longue date, ça rejaillit sur mon travail », sourit l’institutrice.

Longtemps, l’institutrice a encouragé l’école à réduire ses détritus et permis l’avènement de goûter zéro déchet et de kermesses sobres et festives. Protège-cahiers en tissu, pot de colle réutilisable, éponges tawashi en chaussettes recyclées, feutres remplacés par des crayons en bois ou des craies… Les fournitures en plastique ou jetables ont aujourd’hui quasiment disparu des pupitres.

Même la mairie a pris le pli. À chaque événement municipal, Marion Crétinon se demande : « Comment puis-je faire mieux pour produire moins de déchets ? » La réponse passe par la sélection des fournisseurs en fonction des détritus produits. Tel l’abandon des jus d’ananas importés et enveloppés de plastique au profit de jus de pomme local en bouteille de verre consignée.

« Les changements en interne sont les plus durs »

Ces avancées restent cependant à géométrie variable. « Être associé n’a pas révolutionné nos pratiques », admet Bruno Longeon. « Les changements en interne sont les plus durs, il faut embarquer des collègues et une direction qui ne se sentent pas concernés », explique Claire Dulière.

Jouer de diplomatie est nécessaire pour impulser des évolutions. Au sein de la mairie, les fonctionnaires ont été sensibilisés via une fresque du climat. La collectivité a également réduit le nombre de poubelles dans les bureaux pour que ses agents prennent conscience de leur production de déchets.

Si les commerçants ont été « intéressés » par le QZD, « ce n’est pas leur priorité », reconnaît Marion Crétinon. Les marchands sont plus concernés par l’inflation et l’augmentation des prix de l’électricité que par la démarche zéro déchet. « C’est compliqué pour eux de se lancer dans des projets qui ne sont pas générateurs de chiffres d’affaires », explique l’élue.

« Il a fallu apprendre à se connaître pour s’ajuster »

Les participants du Quartier zéro déchet partagent leurs découvertes et frustrations au sein d’un groupe de travail. Clémence Vanbrabant y offre ses conseils aux professeurs des collèges et écoles alentour.

Bruno Longeon apprécie « cette approche avec des acteurs territoriaux d’horizons et de missions différentes qui se mettent en ordre de marche avec un mode d’action régulier ». À condition d’arriver à s’accorder. « On a eu du mal à faire coïncider nos calendriers de travail, explique le bibliothécaire, il a fallu apprendre à se connaître pour s’ajuster. »

Le Quartier zéro déchet permet également d’identifier les dysfonctionnements. Clémence Vanbrabant soupire : « La mairie nous impose un marché sur la commande de fournitures scolaires. On reçoit un carton énorme couvert de plastique pour trois pots de crayons. » Une doléance entendue, mais tributaire du fonctionnement des collectivités. « Les achats des établissements scolaires sont bouclés par la mairie centrale, il faut attendre la fin des marchés pour relancer un appel d’offres », dit Marion Crétinon.

Les associations partenaires ont parfois le sentiment de gravir une montagne administrative. « Le Quartier zéro déchet est frustrant, se désole Claire Dulière, de Zéro déchet Lyon. Plus tu as des attentes, plus tu es frustré que les institutions n’avancent pas, ou pas assez vite. » Marion Crétinon tempère : « C’est un dispositif qui prend du temps et pour lequel il faut expliquer les limites du travail de collectivité. » Le rêve d’une place Valmy immaculée est encore lointain, mais le QZD a encore deux ans pour lui faire passer la barrière de la réalité.

Par Moran Kerinec (publié le 18/09/2023)
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