De Lyon à Poitiers, ces villes qui sont déjà passées au compost
En France, des communes ont anticipé l’obligation de collecte des biodéchets à partir du 1ᵉʳ janvier. Elles montrent que la pratique n’est pas si difficile à mettre en œuvre, lorsqu’elle est accompagnée par une volonté politique.

Épluchures, restes de repas… Un tiers de nos déchets, plutôt que de partir à la poubelle, pourrait être composté. À partir du 1ᵉʳ janvier, leur collecte deviendra obligatoire. Toutes les collectivités devront proposer à leurs habitants une solution pour trier ce que l’on appelle les « biodéchets ». Mais la majorité ne sont pas prêtes. L’Agence de la transition écologique (Ademe) estime que d’ici à la fin de l’année, seul un Français sur trois se verra proposer un tel service.

Pourtant, « les déchets alimentaires sont les plus faciles à collecter séparément, et à réutiliser. Il faut juste en donner les moyens aux usagers », dit Cécile Gotteland, déléguée générale du réseau de collectivités CompostPlus. Pour preuve, de nombreuses communautés de communes, agglomérations ou métropoles s’y sont déjà mises. Reporterre a recensé quatre exemples.

    Lorient agglomération, des précurseurs persévérants

On était en l’an 2000 lorsque les élus de Lorient et alentours (Morbihan) ont voté pour la collecte des biodéchets. « À l’unanimité », précise à Reporterre Odile Robert, directrice du pôle déchets de l’agglomération. Le choix a été fait de viser le plus haut niveau de service possible, la collecte en porte-à-porte, pour les 200 000 habitants répartis sur 25 communes.

Devant chaque maison, en bas de chaque immeuble, un nouveau bac vert s’est installé. « C’est la formule la plus coûteuse mais aussi la plus vertueuse », estime Annick Guillet, vice-présidente de l’agglomération en charge des déchets. Avec deux arguments : plus le service est proche, plus les habitants s’en saisissent.

Et cela permet de repérer les mauvais élèves pour les aider à corriger le tir. « Un bac mal trié reste sur le trottoir », souligne l’élue. Le résultat est là : chaque année, 37 kilos de biodéchets par habitant sont collectés, puis compostés.

Mais pour y arriver, il a fallu ne jamais relâcher les efforts. Au bout de quelques années, le tri était moins bien fait. Des enquêtes auprès des habitants ont permis de se rendre compte que c’était dû à des détails qui comptent. « Le gros bac de collecte de 120 litres était difficile à nettoyer, donc on a réduit la taille de la cuve », explique Odile Robert.

Les petits seaux de cuisine pour mettre les restes, les « bio-seaux », attiraient les moucherons et dégageaient de mauvaises odeurs. « On a changé pour des seaux ajourés, pour que l’air circule, et il n’y a plus de problème », poursuit la directrice.

Les fréquences de passage des camions poubelles sont en train d’évoluer : tous les quinze jours pour les ordures ménagères, toutes les semaines pour les déchets alimentaires. « Cela a boosté le tri des biodéchets », constate-t-elle.

Ajustement permanent

L’ajustement est permanent. La réflexion porte désormais sur la collecte dans les immeubles. « Par manque de place dans le local poubelle, ou parce qu’ils coûtent cher au bailleur en entretien, des bacs disparaissent », relate Odile Robert. La collectivité pourrait donc installer des « points d’apport volontaire », c’est-à-dire des bennes de collecte sur l’espace public où chacun peut déposer ses déchets de cuisine.

Grâce à toutes ces évolutions, Lorient agglomération espère faire mieux, car l’étude des « poubelles noires » a montré que s’y trouvaient encore 38 % de déchets qui devraient être dans la « poubelle verte ».

    Thann-Cernay, des habitants impliqués

C’est une lutte locale qui a mené les élus de la communauté de communes de Thann-Cernay (Haut-Rhin), à se tourner vers le tri des biodéchets. « On avait un incinérateur, et on s’est rendu compte qu’il était vieillissant et contaminait à la dioxine le lait et les œufs », se souvient Marie-Paul Morin, aujourd’hui présidente du syndicat mixte de Thann-Cernay pour la gestion des déchets. Il devait être remplacé par un nouvel incinérateur, les habitants n’en ont pas voulu.

À l’époque, l’élue ne faisait pas encore de politique, « mais je faisais partie des manifestants et j’avais une grande banderole chez moi ». Sans nouvel incinérateur, et en fermant l’ancien, il a fallu trouver des solutions pour diminuer la quantité de déchets produite. « Le contrat a été : “D’accord, on ferme l’incinérateur, mais il faudra jouer le jeu pour réduire les déchets” », poursuit-elle.

Ainsi, depuis 2010, dix-huit communes, soit 42 000 habitants, voient leurs biodéchets collectés en porte-à-porte, sur le même modèle que Lorient agglomération. Le contrat a été rempli dès la première année : « En un an, on est passés de 232 kilos à seulement 106 kilos d’ordures ménagères par habitant », se félicite l’élue. Dès le début, 45 kilos de biodéchets par habitant et par an étaient récoltés, et transformés en compost pour les agriculteurs locaux.

Un succès dû au contexte de rejet de l’incinérateur, aux réunions publiques et à un fin travail de communication, en porte-à-porte, auprès de chaque habitant. Mais, treize ans plus tard, les résultats stagnent. « Sur 100 kilos de déchets dans les ordures ménagères, il en reste encore 24 de biodéchets », déplore Marie-Paul Morin. L’idée qui trotte dans la tête du syndicat mixte serait donc de se tourner vers la pesée de la poubelle noire, qui permet de faire payer chaque usager en fonction du poids d’ordures.

    Le Grand Lyon, une métropole scrutée de près

« On a été la première grande ville à s’atteler au sujet », revendique Isabelle Petiot. Elle a ouvert le dossier du tri des biodéchets dès 2020, après les élections municipales. La vice-présidente à la réduction des déchets de la métropole de Lyon était déterminée. Proposer à 1,4 million d’habitants une solution pour trier leurs déchets de cuisine n’était pas une mince affaire.

Deux solutions ont été choisies : des composteurs ont été distribués aux personnes qui ont un jardin, et des « bornes à compost » ont été installées dans les zones urbaines denses. « Il faut une borne pour 450 habitants ; dans les zones les plus denses c’est quasiment une borne tous les 100 mètres », explique l’élue.

Là encore, pour convaincre les habitants, la métropole a été les voir un à un. « On a fait du porte-à-porte pour distribuer les bio-seaux, les sacs kraft pour mettre les biodéchets, des dépliants », dit-elle. Surtout, l’originalité est que les bornes choisies par la métropole n’ont pas de contrôle d’accès : n’importe qui peut les ouvrir et y déposer des déchets. « Les autres collectivités nous regardaient, disaient qu’on allait avoir du compost de mauvaise qualité », se rappelle-t-elle. Résultat, pour l’instant, « on n’a que 6 % d’erreurs de tri, ce qui est bien ».

Aujourd’hui, la métropole revendique 1 300 bornes installées pour 600 000 habitants desservis. La collecte est encore maigre, comparée à nos autres exemples : 9 kilos de déchets alimentaires par habitant et par an. « Mais c’est en augmentation constante, on est sur un changement de comportement, on ne va pas y arriver du jour au lendemain », tempère Isabelle Petiot.

    Le Grand Poitiers, du compost en circuit court

Près de 200 000 habitants, quarante communes : le Grand Poitiers a autant d’habitants que Lorient, mais a choisi un système de tri des biodéchets radicalement différent. « Les élus ont pris le pari du compostage de proximité », dit Céline Besnard, directrice du service déchets du Grand Poitiers. Comprenez que la matière organique n’est — quand c’est possible — pas transportée.

Les habitants compostent leurs déchets de cuisine soit dans leur jardin, soit au pied de leur immeuble. Ce n’est que dans les quartiers très denses et trop minéralisés de Poitiers que des bornes de collecte ont été installées.

    « Comprendre ce qui était facile et ce qui était compliqué »

Un choix audacieux, car il peut demander plus d’effort aux usagers que la collecte en porte-à-porte. Mais composter sur place est plus écologique, car cela évite de transporter des tonnes de matière, le compost est réutilisé sur place.

Pour y arriver, la communauté urbaine a choisi de s’associer avec l’université de Poitiers pour étudier les freins psycho-sociaux. Le travail a commencé fin 2020. « On a voulu comprendre ce qui était facile et ce qui était compliqué », explique Céline Besnard. « Dans le centre-ville de Poitiers, on a questionné les usagers pour savoir où il fallait qu’on les accompagne, et où ils voulaient bien faire des efforts ».

« À notre grande surprise, 80 % ont répondu la même chose. » Ils voulaient pouvoir déposer leurs déchets de cuisine n’importe quand, mais étaient prêts en revanche à accepter une baisse de la fréquence de collecte des ordures ménagères. Des composteurs et des bornes de collecte des biodéchets, accessibles 24 heures sur 24 ont donc été disséminés tous les 500 mètres dans la ville.

« On s’occupe du reste », est le slogan qui a été choisi. En effet, une fois les biodéchets déposés, c’est une association qui s’occupe de gérer les composteurs, puis de redistribuer leur fertile contenu aux habitants. Les consignes de tri ont été simplifiées au maximum.

« On s’est rendu compte que ce qui était compliqué était d’intégrer dans la cuisine une nouvelle habitude, raconte Céline Besnard. Donc on a désacralisé les choses, et on a dit aux gens “Prenez le contenant qui vous plaît, un saladier, un tupperware, un bio-seau, ce qui compte, c’est de le sortir tous les deux jours” ».

Pour les gens qui ont un jardin, « on leur a fourni le composteur et on est venus le monter chez eux, en leur disant “C’est comme dans la forêt, vous déposez les épluchures, la viande, ça se décomposera”. » S’adapter aux usagers est un travail de fourmi qui prend du temps. « Il nous reste encore 20 à 30 % de la population à couvrir », admet Céline Besnard.

Un sujet fertile

Ces quatre exemples donnent des pistes pour identifier les ingrédients du succès. « Le premier, c’est d’avoir un élu motivé », assure Thomas Colin de CompostPlus. « La communication, des consignes claires, sont importantes », ajoute Cécile Bussière chez Réseau compost citoyen, qui encourage le compostage de proximité. La fourniture de bio-seaux, le ramassage moins fréquent des ordures ménagères sont d’autres points identifiés par l’Ademe.

Les collectivités vont-elles s’y mettre ? « C’est en tout cas le sujet qui attire le plus de monde dans nos événéments », note Stéphane Duru, de l’association de collectivités territoriales Amorce. Réseau compost citoyen voit de son côté les demandes d’adhésion augmenter, mais « on a aussi des collectivités qui nous demandent ce qu’elles risquent si elles ne font rien… » note Cécile Gotteland.

À défaut, quand la volonté politique manque, ce sera peut-être le coût financier qui motivera les élus. Les ordures brûlées ou enfouies coûtent de plus en plus cher aux collectivités. La taxe générale sur les activités polluantes est en augmentation. « Elle rapporte à l’État 800 millions d’euros par an, mais seuls 100 millions ont été alloués pour accompagner les collectivités sur les biodéchets. C’est clairement insuffisant », estime Stéphane Duru.

Par Marie Astier (publié le 26/12/2023)
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