De la ferme à la fourchette, trop bon, la cantine bio !
Mouans-Sartoux (Alpes-Maritimes) a révolutionné sa restauration scolaire. Les repas sont 100 % bio et la moitié des légumes sont issus d’un potager municipal. Une singularité française.

« Ohhhh ! » Vingt petites bouches s’extasient en choeur : Stéphane Jourde, le jardinier, vient de relever le panneau qui ferme la « maison des légumes ». « Et là, un fruit ! », s’exclame un néophyte. « C’est une aubergine, Gustave ! » Marie-Germaine Chambon, vibrante adepte du potager municipal de Mouans-Sartoux, ne rate pas une occasion d’y emmener sa classe de cours préparatoire. « Qui sait depuis combien de temps les légumes sont présents dans la serre ? » « Mille ans ! », lance un facétieux.

Ce matin tiède de septembre, les enfants malvoyants d’une classe pour l’inclusion scolaire (Clis) participent également à la visite, dans les hauts de la ville de dix mille habitants, voisine de Cannes. Gwendal Tredan, l’éducateur, guide la main d’Auguste. L’enfant s’attarde au contact soyeux d’un concombre haut perché.

« Oh ! Un bébé coccinelle ! » En extase, la moitié du groupe déserte les explications sur les betteraves. La parcelle aux melons rencontre un gros succès chez les gars : fin de saison, il ne reste que de petits fruits non consommables, ersatz acceptables de boules de pétanque. Plus loin, brins de ciboulette et de persil excitent les papilles. Le clou de la visite : la récolte des « petits marrons ». En un quart d’heure, la troupe gazouillante a rassemblé près de cinq cents courges butternut. « On a fait du bon boulot ! » Deux bonnes heures de gagnées pour Stéphane Jourde et son ouvrier, embauché via une filière de réinsertion.

La jeune classe aura bientôt la fierté de déguster sa récolte en gratin. Le potager, ancien domaine maraîcher de Hautecombe, est aujourd’hui dédié à l’approvisionnement des cantines des trois groupes scolaires de la ville.

À la fin des années1990, la municipalité dirigée par André Aschieri, ex-député Vert, décide de convertir la restauration scolaire à l’alimentation saine. Coup de barre en cuisine, valse des fournisseurs. « Nous avons commencé par remplacer le ketchup et la mayonnaise industrielle par des sauces maison », raconte Gille Pérole, maire adjoint chargé du dossier. Moins de sel et de sucre, les conserves font place à du frais, les portions de légumes et de fruits augmentent.

Puis vient la conquête du bio. Si de nombreuses villes françaises visent d’en introduire 20 % dans les cantines – objectif du Grenelle de l’environnement –, la cohérence, pour Mouans-Sartoux, c’est 100 %. La ville y parvient depuis 2012. Pionnière, la ville est aujourd’hui la plus avancée de France dans le domaine. « Cependant, les agriculteurs bio locaux ne sont pas très nombreux, regrette Gilles Pérole. Nous devions faire venir une partie des aliments de régions éloignées, ce qui n’est pas très satisfaisant. »

Autonomie alimentaire

En 2010, la ville préempte le domaine d’Hautecombe, alors en friche. C’est une régie municipale agricole créée pour l’occasion qui en prend la charge, singularité nationale que Mouans-Sartoux partage avec Toulouse. « Préserver des cultures de proximité, c’est oeuvrer pour la sécurité alimentaire de demain », argumente l’élu.

Le Plan local d’urbanisme, voté l’an dernier, a multiplié par trois la surface réservée aux activités agricoles : elle est passée de 42 à 119 hectares. La ville prévoit d’y faciliter l’installation des agriculteurs qui s’engageront à produire bio. « Avec 130 hectares, soit 10 % de son territoire, la commune pourrait devenir autonome en fruits et légumes. »

Au potager, c’est jour de visite hebdomadaire pour Tayeb Nemri, responsable de l’économat, afin de faire le point sur les récoltes et d’affiner les menus, l’œil sur le tableau des préconisations du Plan national nutrition santé (PNNS). Les derniers sacs de haricots à écosser, suspendus dans une remise, seront livrés dans la semaine. Tomates, épinards, fenouil, échalotes, panais, radis noirs… Stéphane Jourde jongle avec le calendrier de cultures d’une trentaine d’espèces, de manière à limiter la production estivale, quand les écoles sont fermées. Cet automne, il plantera des arbres fruitiers.

En 2013, Hautecombe aura produit une quinzaine de tonnes de légumes, de quoi couvrir 55 % du besoin des écoles (1 200 repas servis chaque jour). Il reste encore 1,5 hectare disponible dans le potager. À terme, celui-ci pourrait couvrir de 80 % à 90 % des besoins scolaires, « seuil d’équilibre économique de la régie », indique Gilles Pérole.

Guerre au gaspillage

« Vous voulez voir nos poubelles ? » Nulle malice dans le mot d’accueil de Sandrine Nemri. Cuisinière au groupe scolaire Orée du bois, elle tire une part de sa fierté professionnelle du maigre contenu de trois seaux jaunes alignés devant le guichet où les enfants desservent leur plateau en fin de repas.

Sandra Lemal, sa collègue, ouvre les registres de pesée. « Il y a deux ans, nous jetions six kg d’aliments par jour. Aujourd’hui, à peine 1,5 kg. » Dans la réserve, une seule baguette de pain « en trop » pour trois cents repas servis.

Dans leur quête d’autonomie alimentaire, les écoles de Mouans-Sartoux sont parties en campagne contre le gaspillage. En France, la poubelle est parfois le premier convive de la restauration collective, destinataire de plus de la moitié des volumes pour certaines denrées. « Les méthodes de travail ont changé mais, en fin de compte, on fait un peu comme à la maison », explique Antoinette Chiavaccini, cuisinière au groupe scolaire François-Jacob, alias « la reine de la tourte », au titre de son talent pour accommoder les fonds de réfrigérateurs.

Au lieu de préparer l’intégralité du repas du jour à l’avance, on cuisine le service minimum, quitte à relancer les feux pour s’ajuster à la demande si le plat fait un tabac. « Nous proposons des petites portions aux enfants, qui peuvent demander du rab, explique Tayeb Nemri. Les fruits sont présentés en quartiers : combien d’enfants mangent une pomme entière ? Sur les trois écoles, les restes alimentaires ont été divisés par dix. Nos poubelles épatent, on vient les visiter des villes voisines ! »

Les gamins réclament des blettes

Gilles Pérole projette même d’installer en cuisine des dessiccateurs à déchets et épluchures, pour amender les sols de Hautecombe. « Cette cohérence globale nous procure une énorme satisfaction professionnelle », souligne Josette, en cuisine à François-Jacob.

D’autant que la mutation des cantines s’est effectuée à coût quasi constant, un défi affiché depuis l’origine par la municipalité. « Nous avons basculé l’an dernier seulement sur la viande bio, la denrée dont l’impact est le plus important : de 30 à 100 % de surcoût. Néanmoins, l’approvisionnement “tout bio” ne nous coûte aujourd’hui que 2,02 euros par repas, contre 1,90 euro en 2008, quand nous n’étions qu’à 20 %, explique l’élu. Toutes les économies réalisées dans la gestion globale de la restauration ont été investies dans l’amélioration de la qualité. » Quant aux tarifs pour les foyers, calculés en fonction du quotient familial, ils restent sans limite inférieure, « bien que les revenus des Mouansois aient globalement baissé ».

L’an dernier, la ville a installé un observatoire de la restauration scolaire, destiné à documenter et à évaluer son expérience. Un récent sondage a révélé 97 % d’indice de satisfaction pour les élèves fréquentant la cantine, ainsi que chez leurs parents. « Ce n’est pas vraiment une surprise, commente Gilles Pérole, beaucoup plus intéressé par l’évolution des pratiques alimentaires de ces familles. Les deux tiers affirment “se poser des questions”, la moitié achète du bio “souvent ou toujours”, 70 % sont attentifs au lieu de production des aliments, et 90 % privilégient les produits de saison. »

Parente d’élève élue au groupe François-Jacob, Véronique Bahhar n’a que des éloges à livrer sur la qualité de l’alimentation, corroborés par l’appréciation de ses deux enfants, qui « ont découvert des saveurs nouvelles ». Certains parents ont eu la surprise de s’entendre réclamer des blettes ou des navets pour le dîner.

« Un bémol : le manque de diversité parfois. En hiver, les enfants peuvent finir par se lasser des pommes. Mais nous avons bien conscience, pour la restauration scolaire entre autres choses, de la grande chance que nous avons de vivre à Mouans-Sartoux. »

Patrick Piro

Lire sur le site de "reporterre.net" (11/12/2013)