En Autriche, l’exemple des Chambres de travailleurs pour plus de démocratie au travail
Cette année 2024 est pour l’Autriche une année électorale exceptionnelle. Ce petit pays de neuf millions d’habitants a déjà voté et votera ces prochains mois à plusieurs niveaux. Le 9 juin ont lieu les élections parlementaires européennes et en septembre les élections parlementaires du Conseil National, la Chambre basse du pouvoir législatif autrichien.

Mais cette année électorale autrichienne a débuté par des élections particulières, celles des chambres des travailleurs dans les neuf régions d’Autriche et de la formation d’une Chambre des travailleurs au niveau national.

La Chambre des travailleurs, c’est quoi ?

La Chambre des travailleurs (Arbeiterkammer) est une organisation très particulière. Elle a été fondée en 1920 et ceci après une longue lutte pour l’égalité des droits, puisque du côté des employeurs existait déjà depuis 1848 la Chambre du commerce. La Chambre des travailleurs est un modèle d’organisation qui n’existe dans cette forme qu’en Autriche, dans deux régions d’Allemagne (Brême et Sarre) ainsi qu’au Luxembourg. Le financement se fait par le biais d’un prélèvement obligatoire (0,5% du salaire brut) afin de garantir une indépendance politique.

Cette institution jouit d’une grande confiance dans la population. Ses membres font souvent appel aux conseils juridiques gratuits, qu’il s’agisse de problèmes avec l’employeur ou de questions relatives à la sécurité sociale, aux impôts, à la protection des consommateurs, au logement, etc. En Autriche, ce ne sont pas moins de 2,3 millions de conseils juridiques qui ont été donnés en 2023.

    Ceci a permis de récupérer pour les membres 645 millions d’euros dans les domaines du droit du travail, du droit fiscal, de la protection des consommateurs, de l’insolvabilité et de la sécurité sociale et sous forme de subventions à la formation.

La Chambre des travailleurs est la représentation légale des intérêts des travailleurs en Autriche et de ce fait une organisation-sœur de la Fédération des syndicats autrichiens (Österreichischer Gewerkschaftsbund, ÖGB). Ensemble, ils représentent les intérêts des travailleurs dans le partenariat social. On pourrait croire par certains aspects que ces deux entités sont en concurrence, mais au contraire, il s’agit d‘une coopération étroite, aussi bien au niveau politique que personnel. Ensemble, ils travaillent par exemple à la révision de propositions législatives. La seule grande différence étant que la Chambre des travailleurs ne négocie pas les conventions collectives et ne peut pas représenter leurs membres au niveau international, ces fonctions restant réservées aux représentations syndicales.

Les élections à la Chambre des travailleurs sont, sous plusieurs aspects, uniques. Tout d’abord, du fait du droit de vote actif et passif particulier. Tous les membres de la Chambre ont le droit de vote et comme l’adhésion est obligatoire, cela représente 4 millions de personnes qui sont appelés aux urnes : tous les salariés, les indépendants, les apprentis, les chômeurs, etc. Seuls quelques exceptions, comme les fonctionnaires publics ou les employés cadres supérieurs, ne sont pas membres de la Chambre des travailleurs.

Un élément essentiel de la démocratie

Tous les membres cela veut aussi dire que l’origine n’a pas d’importance. N’importe qui travaillant légalement en Autriche, peut voter. Ces élections permettent donc aux travailleurs migrants de s’exprimer. Et c’est un élément essentiel de la démocratie.

De plus en plus de personnes, en Autriche, sont exclues du principal moyen de participation, à savoir le vote, parce qu’elles n’ont pas la citoyenneté autrichienne. Nous parlons de 22% de la population adulte en Autriche et d’un tiers de la population à Vienne. Tout spécialement dans le monde du travail, les étrangers représentent une importante part de la population qui paie des impôts et peut ici s’engager politiquement.

Il est également intéressant de regarder qui sont les candidats : Ce sont pour la plupart des représentants du personnel de petites et grandes entreprises, des métallurgistes, des infirmiers, des chauffeurs poids-lourds, des travailleurs sociaux, mais aussi des travailleurs étrangers, des femmes, etc.

    Ensemble, ils forment ce véritable « Parlement des travailleurs », un parlement qui reflète le monde du travail, un parlement qui représente également les différents courants politiques et idéologiques. Aux élections de la Chambre des travailleurs à Vienne par exemple, on a compté 16 listes différentes.

La coopération étroite qui lie la Chambre des travailleurs et les syndicats se traduit par de grands efforts déployés par la Fédération syndicale autrichienne et ses sept syndicats pour promouvoir ces élections qui ont lieu tous les cinq ans. Et comment ? Sur le lieu de travail ! Nous avons 90.000 représentants du personnel dans tout le pays, ils sont l’épine dorsale du mouvement syndical. Ils nous permettent d’entrer en contact avec les électeurs sur leur lieu de travail. Ces 90.000 représentants du personnel ne se contentent pas de promouvoir les élections de la Chambre du travail, ils participent également à l’organisation des élections elles-mêmes. La Fédération a installé des milliers d’urnes et isoloirs sur le lieu de travail et formé des milliers de personnes pour que les élections se déroulent démocratiquement.

Dans les entreprises où il n’y a pas de représentants ou de possibilité de voter sur le lieu de travail, l’ÖGB a lancé une campagne téléphonique pour informer sur le fonctionnement des élections. Rien qu’à Vienne, ce sont plus de 50.000 personnes que nous avons atteints. Ces personnes ont pu voter dans des bureaux de vote publics.

Ces élections se sont clôturées fin avril. Au niveau des résultats, il n’y a pas de surprise, le groupe des syndicalistes sociaux-démocrates (FSG) a gagné dans 7 régions entre 57,2 % (Vienne) et 69,2% (Kärnten) des votes. Dans les deux régions plus conservatrices à l’ouest de l’Autriche à savoir Vorarlberg et Tirol, ce sont les syndicalistes chrétiens (FCG) qui ont gagné avec respectivement 42,33% et 59,2% des votes. Le taux de participation est entre 30% et 40%, en baisse dans plusieurs régions. Il s’agira d’analyser les causes, mais l’expansion du télétravail a très certainement joué un rôle.

Et les prochaines élections autrichiennes ?

Les élections des neuf chambres des travailleurs ont marqué le début de l’année électorale en Autriche. Nous espérons qu’elle permettra de mettre l’accent lors des élections du Parlement européen et du Parlement autrichien sur les questions qui sont particulièrement importantes pour les travailleurs : des solutions contre l’inflation, l’augmentation des coûts des loyers, de l’électricité et du chauffage, la surcharge de travail due à la pénurie de main d’œuvre qualifiée, les coupes dans les services publics, etc.

Ceci n’est pas une tâche facile, puisque les électeurs ont tendance à voter différemment quand il s’agit d’élections limitées au monde du travail ou quand d’autres thèmes prédominent la campagne électorale. Et pourtant, les résultats des élections parlementaires autrichiennes, en septembre, pourraient avoir un grand impact sur le fonctionnement de la Chambre des travailleurs, puisque certains partis rêvent de détruire ou du moins restreindre les financements [en abaissant le prélèvement obligatoire] et donc les possibilités de politiques de défense des droits des travailleurs en Autriche. Et ceci malgré la très grande confiance dont jouit la chambre des travailleurs dans la population.

Par Isabelle Ourny (publié le 07/06/2024)
A lire sur le site Equal Times