En Mauritanie, un maraîcher transforme le désert en jardin
De la maison de Carlos Gil Casado, on ne ressort jamais les mains vides. A l’entrée de sa villa de Nouakchott, sur de grands plateaux, des semis de différentes variétés de tomates jouxtent des plants d’artémisia ou de persil. Il y a deux mois, il a acheté des figues sèches chez un épicier et en a fait germer les graines. « Voilà le résultat », dit-il pointant quelques dizaines de pousses.

« Si, dans quelques années, on pouvait distribuer cinq figues par jour à tous les enfants de Mauritanie, on aurait réussi un défi fabuleux ! », lance-t-il. En Mauritanie, 43,9 % de la population active a souffert d’un retard de croissance pendant l’enfance, selon l’ONU.

« Si tu veux nourrir quelqu’un, donne-lui des tomates. Si tu veux le sauver, apprends-lui à les cultiver. » Carlos Gil Casado pourrait faire sien cet adage traditionnel revu et corrigé. En ce début septembre, l’Espagnol installé depuis dix ans en Mauritanie a terminé il y a quelques semaines la formation au maraîchage qu’il dispense. Une activité pour laquelle il réserve sa patience, lui qui, en route dans sa vieille guimbarde pour récupérer du fumier de cheval dans un centre équestre, s’impatiente dans les embouteillages de Nouakchott.

En grande banlieue de la capitale du pays, il a transformé un petit coin de désert en un jardin vert rebaptisé El Jenna (« le paradis »). Et ce matin de septembre, des caisses de tomates s’y empilent en bout d’allées, prêtes à partir pour le marché où « elles seront vendues en vingt minutes », assure Mohamed Mokhtar, ingénieur en agriculture venu faire un stage.

A 17 kilomètres au sud de la ville, l’Espagnol a transformé un hectare désertique en une zone de maraîchage où poussent désormais des tomates, des aubergines, des gombos, des concombres, des feuilles de bissap. Et même « du piment pour mettre dans le yassa ou le thiéboudienne » se félicite Mohamed Mokhtar.

Une ferme pédagogique

De janvier à juillet, la ferme pédagogique de Carlos Gil Casado a formé trente élèves. Pendant sept mois, ils ont suivi une heure quotidienne de cours théorique puis des ateliers pratiques. Au début de sa formation, chaque élève a reçu une parcelle d’environ 10 m2. « Le but est que chacun puisse créer son propre jardin en fonction d’un projet intégrant la nature des plantations, la surface cultivable et le prix des légumes à la vente », explique Mohamed Mokhtar.

Chaque bénéficiaire à commencer par monter son propre business plan. C’est le sens du projet global de Carlos Gil Casado, financé par l’Union européenne et mis en œuvre par Agri Sahel et le Groupe de recherches et de réalisation pour le développement rural (GRDR).

Avant de suivre sa formation, Fatimatou Mint Deya, 62 ans, était cuisinière et ignorait « comment poussaient des légumes », et même « qu’il fallait de l’eau et du soleil ». Aujourd’hui, elle garde une partie de sa production pour sa famille et vend l’autre pour « une source de revenus supérieure à celle d’autrefois ».

Du maraîchage sur un sol très aride

Comme elle, les autres stagiaires ont apprécié et la plupart se sont regroupés en coopérative au terme de leur apprentissage. « Ils se sont installés autour de nous ce qui nous permet de rester en contact et de continuer à suivre leur projet », assure Carlos Gil Casado.

Lorsqu’on lui demande comment il est possible de cultiver sur un sol aussi aride composé de coquillages concassés, l’agriculteur-enseignant rappelle que son « modèle est simple : il faut de l’engrais naturel, du sable, un goutte-à-goutte bien réglé et une plante brise-vent. » Pour cette dernière, il utilise du malafalfa, une herbe qu’il a découverte lorsqu’il faisait sa coopération au Nicaragua et « qui est parfaitement adaptée aux conditions sahéliennes puisque des amis en ont fait pousser au Niger, au Sénégal et au Mali ».

A El Jenna, où un deuxième hectare a été acheté pour développer des plantes fourragères (malafalfa et moringa), il faut juste éviter de planter des légumes dont les racines se développent en profondeur dans le sol, comme les navets ou les carottes. Mais tout le reste serait envisageable.

Plus globalement, la ferme pédagogique prouve pour l’instant qu’il est possible de faire du maraîchage à quelques kilomètres de la capitale mauritanienne et pas uniquement le long du fleuve Sénégal où la terre est très fertile. Autour du site, des centaines de producteurs, inspirés par la réussite de la ferme agricole et un vaste projet gouvernemental de zone agricole périurbaine, ont commencé à planter en suivant le modèle impulsé par l’Espagnol.

« Je suis heureux d’être copié, mais je le serai encore plus lorsque les Mauritaniens mangeront tous leurs propres tomates », espère Carlos Gil Casado. Il suffit d’un peu de patience.

Par Pierre Lepidi (publié le 19/09/2020)
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