30 Juin 2015
Le Conseil d'Etat grec a cassé les coupes dans les pensions décidées fin 2012 sous la pression de la troïka. Les pensions seront revalorisées. Quelles conséquences pour les négociations ?
C'est une excellente nouvelle pour les retraités grecs, mais c'est aussi un nouveau casse-tête pour le premier ministre hellénique Alexis Tsipras dans les négociations avec les créanciers. Mercredi 10 juin, le conseil d'Etat grec a annulé pour inconstitutionnalité les coupes dans les retraites et dans les retraites complémentaires décidées fin 2012 par le gouvernement d'Antonis Samaras. La plus haute juridiction administrative grecque a considéré qu'aucune étude sérieuse n'avait été menée concernant l'impact de ces coupes. Le Conseil d'Etat n'oblige pas l'Etat à rembourser les retraités qui ont subi ces coupes dans leurs revenus, mais il faudra rétablir le niveau d'avant 2012. Ces coupes concernaient les retraités touchant plus de 1.000 euros de retraites mensuelles, soit 800.000 personnes. La revalorisation va de 5 % à 15 % et coûtera entre 1 milliard d'euros et 1,5 milliard d'euros à l'Etat, soit une facture s'élevant de 0,5 % à 0,8 % du PIB.
La fin de la discussion sur les retraites ?
Cette décision ne va certainement pas manqué d'avoir une certaine influence sur les négociations où la question des retraites est centrale. Alexis Tsipras refusait jusqu'ici avec fermeté l'exigence des créanciers de couper davantage dans le niveau des pensions. Dans leur dernier plan, les Européens et le FMI demandaient des coupes de 1,8 milliard d'euros. La décision du Conseil d'Etat vient d'une certaine façon conforter la position grecque : il sera difficile de reprendre et d'aggraver des mesures déjà jugées inconstitutionnelles.
Du coup, il y a fort à parier (mais ce n'est pas sûr) que le nœud de la discussion se décale vers la question des excédents budgétaires primaires (hors service de la dette). Avec cette charge supplémentaire pour l'Etat, les objectifs budgétaires de l'Etat vont devenir plus difficiles à atteindre. Le plan des créanciers prévoyait un excédent primaire de 1 % du PIB en 2015, 2 % en 2016. Le plan grec « modifié », rejeté sèchement mardi 9 juin par Bruxelles, proposait 0,75 % du PIB. Mercredi, des rumeurs affirmaient que le gouvernement grec était prêt à s'aligner sur les exigences des créanciers, ce qui aurait constitué un effort supplémentaire d'un demi-milliard d'euros. Désormais, il faut ajouter le poids de cette revalorisation des pensions à la facture.
Comment financer ces nouvelles dépenses ?
Comment vont réagir les créanciers ? Réclameront-ils de nouvelles « garanties » sur le détail du financement de ces excédents, notamment de nouvelles coupes budgétaires ou de nouvelles recettes par l'organisation de davantage de privatisations ? Dans ce cas, les négociations pourraient à nouveau se bloquer après la tentative d'avancée dans la soirée du mercredi 10 juin où Alexis Tsipras a de nouveau rencontré Angela Merkel, François Hollande et Jean-Claude Juncker. A moins qu'il n'y ait eu une vraie avancée dans la nature des discussions. Le gouvernement grec a, après ces contacts, indiqué qu'il cherchait à mettre en place une solution qui « permette de faire repartir la croissance et pas seulement de couvrir les remboursements des créanciers. »
Casse-tête en termes de justice sociale
Reste cependant une question que soulève le blog grec Keep Talking Greece : cette revalorisation des pensions moyennes et élevées ne va-t-elle pas se faire au détriment des petites pensions de moins de 1000 euros qui ne sont pas concernées par cette mesure et que Syriza avait promis de revaloriser en décembre prochain ? Ce serait un coup de canif dans le programme du gouvernement et cela ne manquera pas de poser des problèmes de justice sociale. C'est là, à coup sûr, un casse-tête pour Alexis Tsipras.
Croissance ou nouvelles coupes budgétaires ?
Mais la clé du problème est bien la suivante : seule le retour de la croissance peut permettre au gouvernement grec de remplir ses objectifs budgétaires et de rembourser ainsi ses créanciers dans la durée. En théorie, ce serait donc également dans l'intérêt des créanciers de favoriser cette croissance et, pour cela, de mettre fin le plus rapidement possible au blocage actuel qui, en organisant et maintenant l'incertitude, fait plonger l'économie grecque vers les abymes. Dans ce cadre, la décision du conseil d'Etat peut être une chance en redonnant un coup de fouet à la consommation des ménages. A condition toutefois que les incertitudes soient levées, donc qu'un accord permettant une certaine visibilité soit obtenu. Dans ce cas, une partie des versements sur les pensions reviendront à l'Etat sous forme de TVA et d'impôts divers. C'est une logique encore étrangère aux créanciers. S'ils ne finissent par l'admettre, les maux de la Grèce sont loin d'être terminés.
Caractère sauvage de l'austérité des années 2010-2013
Mais la décision du Conseil d'Etat grec rappelle aussi une vérité trop souvent oubliée : le caractère « sauvage » qu'a pris l'austérité dans les années 2010-2013. Les créanciers ont exigé des mesures souvent inconstitutionnelles ou illégales sans s'en soucier. La cour constitutionnelle portugaise avait déjà dû casser par deux fois des mesures adoptées sous la pression de la troïka. Ces décisions hâtives, conduites par la seule logique du retour rapide à l'équilibre budgétaire, se sont révélé en réalité des pièges à long terme. Elles montrent aussi l'existence déjà d'une « zone euro à deux vitesses » que redoutaient Alexis Tsipras dans son texte publié dans le Monde le 1er juin dernier. Compte tenu de la sensibilité, par exemple, de l'Allemagne, au respect de ses règles constitutionnelles, on peut constater que ce type de mesures n'est possible que dans les pays « périphériques. » Si le gouvernement grec entend réellement ne plus accepter cet état de fait, la décision du Conseil d'Etat peut être plus qu'un casse-tête budgétaire. Ce peut être une chance de prouver qu'une décision juridique grecque a autant de valeur d'une décision de la Cour de Karlsruhe dans la zone euro. Et qu'il convient donc d'apprendre des erreurs du passé.
Par Romaric Godin
Lire sur La Tribune (11/06/2015)
C'est une excellente nouvelle pour les retraités grecs, mais c'est aussi un nouveau casse-tête pour le premier ministre hellénique Alexis Tsipras dans les négociations avec les créanciers. Mercredi 10 juin, le conseil d'Etat grec a annulé pour inconstitutionnalité les coupes dans les retraites et dans les retraites complémentaires décidées fin 2012 par le gouvernement d'Antonis Samaras. La plus haute juridiction administrative grecque a considéré qu'aucune étude sérieuse n'avait été menée concernant l'impact de ces coupes. Le Conseil d'Etat n'oblige pas l'Etat à rembourser les retraités qui ont subi ces coupes dans leurs revenus, mais il faudra rétablir le niveau d'avant 2012. Ces coupes concernaient les retraités touchant plus de 1.000 euros de retraites mensuelles, soit 800.000 personnes. La revalorisation va de 5 % à 15 % et coûtera entre 1 milliard d'euros et 1,5 milliard d'euros à l'Etat, soit une facture s'élevant de 0,5 % à 0,8 % du PIB.
La fin de la discussion sur les retraites ?
Cette décision ne va certainement pas manqué d'avoir une certaine influence sur les négociations où la question des retraites est centrale. Alexis Tsipras refusait jusqu'ici avec fermeté l'exigence des créanciers de couper davantage dans le niveau des pensions. Dans leur dernier plan, les Européens et le FMI demandaient des coupes de 1,8 milliard d'euros. La décision du Conseil d'Etat vient d'une certaine façon conforter la position grecque : il sera difficile de reprendre et d'aggraver des mesures déjà jugées inconstitutionnelles.
Du coup, il y a fort à parier (mais ce n'est pas sûr) que le nœud de la discussion se décale vers la question des excédents budgétaires primaires (hors service de la dette). Avec cette charge supplémentaire pour l'Etat, les objectifs budgétaires de l'Etat vont devenir plus difficiles à atteindre. Le plan des créanciers prévoyait un excédent primaire de 1 % du PIB en 2015, 2 % en 2016. Le plan grec « modifié », rejeté sèchement mardi 9 juin par Bruxelles, proposait 0,75 % du PIB. Mercredi, des rumeurs affirmaient que le gouvernement grec était prêt à s'aligner sur les exigences des créanciers, ce qui aurait constitué un effort supplémentaire d'un demi-milliard d'euros. Désormais, il faut ajouter le poids de cette revalorisation des pensions à la facture.
Comment financer ces nouvelles dépenses ?
Comment vont réagir les créanciers ? Réclameront-ils de nouvelles « garanties » sur le détail du financement de ces excédents, notamment de nouvelles coupes budgétaires ou de nouvelles recettes par l'organisation de davantage de privatisations ? Dans ce cas, les négociations pourraient à nouveau se bloquer après la tentative d'avancée dans la soirée du mercredi 10 juin où Alexis Tsipras a de nouveau rencontré Angela Merkel, François Hollande et Jean-Claude Juncker. A moins qu'il n'y ait eu une vraie avancée dans la nature des discussions. Le gouvernement grec a, après ces contacts, indiqué qu'il cherchait à mettre en place une solution qui « permette de faire repartir la croissance et pas seulement de couvrir les remboursements des créanciers. »
Casse-tête en termes de justice sociale
Reste cependant une question que soulève le blog grec Keep Talking Greece : cette revalorisation des pensions moyennes et élevées ne va-t-elle pas se faire au détriment des petites pensions de moins de 1000 euros qui ne sont pas concernées par cette mesure et que Syriza avait promis de revaloriser en décembre prochain ? Ce serait un coup de canif dans le programme du gouvernement et cela ne manquera pas de poser des problèmes de justice sociale. C'est là, à coup sûr, un casse-tête pour Alexis Tsipras.
Croissance ou nouvelles coupes budgétaires ?
Mais la clé du problème est bien la suivante : seule le retour de la croissance peut permettre au gouvernement grec de remplir ses objectifs budgétaires et de rembourser ainsi ses créanciers dans la durée. En théorie, ce serait donc également dans l'intérêt des créanciers de favoriser cette croissance et, pour cela, de mettre fin le plus rapidement possible au blocage actuel qui, en organisant et maintenant l'incertitude, fait plonger l'économie grecque vers les abymes. Dans ce cadre, la décision du conseil d'Etat peut être une chance en redonnant un coup de fouet à la consommation des ménages. A condition toutefois que les incertitudes soient levées, donc qu'un accord permettant une certaine visibilité soit obtenu. Dans ce cas, une partie des versements sur les pensions reviendront à l'Etat sous forme de TVA et d'impôts divers. C'est une logique encore étrangère aux créanciers. S'ils ne finissent par l'admettre, les maux de la Grèce sont loin d'être terminés.
Caractère sauvage de l'austérité des années 2010-2013
Mais la décision du Conseil d'Etat grec rappelle aussi une vérité trop souvent oubliée : le caractère « sauvage » qu'a pris l'austérité dans les années 2010-2013. Les créanciers ont exigé des mesures souvent inconstitutionnelles ou illégales sans s'en soucier. La cour constitutionnelle portugaise avait déjà dû casser par deux fois des mesures adoptées sous la pression de la troïka. Ces décisions hâtives, conduites par la seule logique du retour rapide à l'équilibre budgétaire, se sont révélé en réalité des pièges à long terme. Elles montrent aussi l'existence déjà d'une « zone euro à deux vitesses » que redoutaient Alexis Tsipras dans son texte publié dans le Monde le 1er juin dernier. Compte tenu de la sensibilité, par exemple, de l'Allemagne, au respect de ses règles constitutionnelles, on peut constater que ce type de mesures n'est possible que dans les pays « périphériques. » Si le gouvernement grec entend réellement ne plus accepter cet état de fait, la décision du Conseil d'Etat peut être plus qu'un casse-tête budgétaire. Ce peut être une chance de prouver qu'une décision juridique grecque a autant de valeur d'une décision de la Cour de Karlsruhe dans la zone euro. Et qu'il convient donc d'apprendre des erreurs du passé.
Par Romaric Godin
Lire sur La Tribune (11/06/2015)