10 May 2013
Bernard-Henri Lévy et Franz-Olivier Giesbert n’ayant pas fait appel de leur condamnation, celle-ci est désormais définitive. Nul doute que la presse qui, sans doute par délicatesse, avait omis de diffuser la nouvelle au moment du prononcé du jugement, se sentira désormais déliée de sa prudence légendaire (Mise à jour du 9 mai 2013).
Depuis quarante ans, les élucubrations de Bernard-Henri Lévy lui ont valu les réprimandes et les sarcasmes d’intellectuels aussi divers que Raymond Aron, Pierre Vidal-Naquet, Gilles Deleuze, Pierre Bourdieu... Cela n’a nullement empêché le philosophe préféré des médias d’empiler les signes de reconnaissance de la bonne société et de multiplier les propos diffamatoires. Avec un argumentaire plutôt subtil : tous ses ennemis politiques seraient assimilables à des nazis...
La liste des bourdes et des calomnies de notre intellectuel de parodie est longue et ancienne. Il a pour distinction de s’être à peu près trompé sur tout. Soucieux d’accomplir un travail de mémoire sur les impostures intellectuelles de BHL, Le Monde diplomatique a, il y a quelques années, regroupé et classé toutes ses calembredaines dans un dossier très détaillé.
Mais rien n’y faisait. Les présidents français passaient (François Mitterrand, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, François Hollande), et chacun recevait Bernard-Henri Lévy à l’Elysée, comme si une telle charge relevait de son office au même titre que la désignation du premier ministre et la possession des codes nucléaires. Parfois, des présidents lui confiaient même une mission officielle ou semi officielle (en Bosnie dans le cas de Mitterrand, en Afghanistan avec Chirac, en Libye avec Sarkozy). Au risque pour la France d’embarrasser ses diplomates et de devenir (un peu) la risée des chancelleries du monde entier.
Le 23 avril 2013, la 17e chambre correctionnelle de Paris a cessé de rire. Dans un arrêt juridiquement remarquable, elle a reconnu Bernard-Henri Lévy « complice du délit de diffamation publique envers un particulier ». Et elle a estimé que Franz-Olivier Giesbert, qui avait publié le texte diffamatoire, s’était rendu, en qualité de directeur de la publication, « coupable » du même délit de diffamation publique.
De quoi s’agissait-il ? D’un « bloc-notes de Bernard Henri-Lévy » publié par Le Point. Cet exercice hebdomadaire de BHL est devenu la lecture presque obligée de tous ceux — sociologues, anthropologues, historiens, humoristes — qui travaillent sur les réseaux de connivence en France. Notre philosophe y dispense en effet, sans la moindre distance ni la moindre ironie, les compliments à ses obligés — ou à ceux dont il attend quelque faveur. Symétriquement, il se montre tout aussi généreux de ses remontrances, voire de l’expression violente de son animosité, lorsqu’il parle de ses adversaires. En particulier de ceux qui ont démasqué ses diverses impostures.
Au nombre desquels ... Le Monde diplomatique, un mensuel qui ferait partie « des chagrins de [l’] existence [de BHL] » depuis qu’il se serait mis « au service du pouvoir pétrolier ». Faute de temps sans doute, et de moyens aussi (ceux de Bernard-Henri Lévy sont considérables), Le Monde diplomatique n’a jamais répliqué sur le terrain judiciaire. Lorsque, le 23 décembre 2010, Bernard Cassen, ancien journaliste et directeur général du Monde diplomatique, a lu le « bloc-notes » de BHL dans Le Point, il a cette fois décidé de porter l’affaire devant les tribunaux.
Pourquoi ? Parce que Bernard-Henri Lévy avait écrit ceci : « Viennent de se produire deux événements [...] considérables. [...] Le second fut ces Assises internationales sur l’islamisation de l’Europe organisées, quelques jours plus tard, à Paris, par le groupuscule néonazi qui s’était rendu célèbre, le 14 juillet 2002, en tentant d’assassiner Jacques Chirac et qui s’est allié, pour l’occasion, à un quarteron d’anciens trotskistes rassemblés sous la bannière du site Internet Riposte laïque. Il faut le dire et le redire : [...] présenter comme un “arc républicain”, ou comme une alliance entre “républicains des deux rives”, ce nouveau rapprochement rouge-brun qui voit les crânes rasés du Bloc identitaire fricoter, sur le dos des musulmans de France, avec tel ancien du Monde diplo, Bernard Cassen, est un crachat au visage [de la] République. »
Impatient, peut-être même frénétique à l’idée de fustiger une nouvelle fois Le Monde diplomatique, Bernard-Henri Lévy avait tiré trop vite. Et commis une erreur grossière d’identification. Tel ce singe de la fable de La Fontaine qui avait pris le port du Pirée pour un homme (1), notre intellectuel avait en effet confondu Bernard Cassen avec… Pierre Cassen, fondateur du site Riposte laïque, effectivement proche de l’extrême droite.
Mais il ne s’agissait que d’une « coquille », gémit BHL. Le tribunal lui répond de manière cinglante en lui reprochant un manque total de « sérieux » : « Il convient de considérer que l’évocation de Bernard Cassen, ancien journaliste et directeur général du mensuel Le Monde diplomatique [...] au lieu et place de Pierre Cassen relève davantage d’une insuffisance de rigueur et d’une carence de fond, que de la simple “coquille” invoquée en défense. »
Et la 17e chambre correctionnelle précise : « Pour l’ensemble de ces motifs, le bénéfice de la bonne foi ne saurait être accordé [à BHL] et, par voie de conséquence, Franz-Olivier Giesbert ne saurait en bénéficier. »
La sévérité de la justice — qui aligne dans ses attendus les appréciations peu flatteuses pour le directeur et pour le chroniqueur du Point : absence de sérieux, insuffisance de rigueur, carence de fond, manque de bonne foi... — s’explique assurément par la gravité de la faute commise par Franz-Olivier Giesbert et par BHL, son « complice ». Comme le note le tribunal : « L’alliance explicitement imputée à Bernard Cassen avec un groupe politique présenté comme véhiculant une idéologie gravement attentatoire aux valeurs républicaines et comme ayant tenté d’assassiner le chef de l’Etat le jour de la fête nationale de 2002, constitue un fait précis, dont la vérité est susceptible d’être prouvée, et qui porte atteinte à son honneur et à sa considération. »
Les deux prévenus, reconnus « auteur et complice du délit de diffamation publique envers un particulier », sont condamnés chacun à une amende de 1 000 euros « qui, pour Bernard-Henri Lévy — dont le casier judiciaire ne porte trace d’aucune condamnation, à la différence de Franz-Olivier Giesbert — sera assortie du sursis ».
Et la publication de cette décision devra paraître dans un prochain numéro du Point, « au pied du “bloc-notes” de Bernard-Henri Lévy [...] dans un encadré, et sous le titre écrit en caractères majuscules et gras de 0,4 cm de hauteur CONDAMNATION JUDICIAIRE . Les deux complices devront par ailleurs payer les frais d’insertion de la publication de la décision qui pourfend leur diffamation dans deux organes de presse choisies par le plaignant.
D’ores et déjà, Le Monde diplomatique se porte candidat à la publication dans ses colonnes de cette réjouissante décision de la justice française.
Lire l'article sur le site de: Le monde diplomatique (26/0/2013)
Depuis quarante ans, les élucubrations de Bernard-Henri Lévy lui ont valu les réprimandes et les sarcasmes d’intellectuels aussi divers que Raymond Aron, Pierre Vidal-Naquet, Gilles Deleuze, Pierre Bourdieu... Cela n’a nullement empêché le philosophe préféré des médias d’empiler les signes de reconnaissance de la bonne société et de multiplier les propos diffamatoires. Avec un argumentaire plutôt subtil : tous ses ennemis politiques seraient assimilables à des nazis...
La liste des bourdes et des calomnies de notre intellectuel de parodie est longue et ancienne. Il a pour distinction de s’être à peu près trompé sur tout. Soucieux d’accomplir un travail de mémoire sur les impostures intellectuelles de BHL, Le Monde diplomatique a, il y a quelques années, regroupé et classé toutes ses calembredaines dans un dossier très détaillé.
Mais rien n’y faisait. Les présidents français passaient (François Mitterrand, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, François Hollande), et chacun recevait Bernard-Henri Lévy à l’Elysée, comme si une telle charge relevait de son office au même titre que la désignation du premier ministre et la possession des codes nucléaires. Parfois, des présidents lui confiaient même une mission officielle ou semi officielle (en Bosnie dans le cas de Mitterrand, en Afghanistan avec Chirac, en Libye avec Sarkozy). Au risque pour la France d’embarrasser ses diplomates et de devenir (un peu) la risée des chancelleries du monde entier.
Le 23 avril 2013, la 17e chambre correctionnelle de Paris a cessé de rire. Dans un arrêt juridiquement remarquable, elle a reconnu Bernard-Henri Lévy « complice du délit de diffamation publique envers un particulier ». Et elle a estimé que Franz-Olivier Giesbert, qui avait publié le texte diffamatoire, s’était rendu, en qualité de directeur de la publication, « coupable » du même délit de diffamation publique.
De quoi s’agissait-il ? D’un « bloc-notes de Bernard Henri-Lévy » publié par Le Point. Cet exercice hebdomadaire de BHL est devenu la lecture presque obligée de tous ceux — sociologues, anthropologues, historiens, humoristes — qui travaillent sur les réseaux de connivence en France. Notre philosophe y dispense en effet, sans la moindre distance ni la moindre ironie, les compliments à ses obligés — ou à ceux dont il attend quelque faveur. Symétriquement, il se montre tout aussi généreux de ses remontrances, voire de l’expression violente de son animosité, lorsqu’il parle de ses adversaires. En particulier de ceux qui ont démasqué ses diverses impostures.
Au nombre desquels ... Le Monde diplomatique, un mensuel qui ferait partie « des chagrins de [l’] existence [de BHL] » depuis qu’il se serait mis « au service du pouvoir pétrolier ». Faute de temps sans doute, et de moyens aussi (ceux de Bernard-Henri Lévy sont considérables), Le Monde diplomatique n’a jamais répliqué sur le terrain judiciaire. Lorsque, le 23 décembre 2010, Bernard Cassen, ancien journaliste et directeur général du Monde diplomatique, a lu le « bloc-notes » de BHL dans Le Point, il a cette fois décidé de porter l’affaire devant les tribunaux.
Pourquoi ? Parce que Bernard-Henri Lévy avait écrit ceci : « Viennent de se produire deux événements [...] considérables. [...] Le second fut ces Assises internationales sur l’islamisation de l’Europe organisées, quelques jours plus tard, à Paris, par le groupuscule néonazi qui s’était rendu célèbre, le 14 juillet 2002, en tentant d’assassiner Jacques Chirac et qui s’est allié, pour l’occasion, à un quarteron d’anciens trotskistes rassemblés sous la bannière du site Internet Riposte laïque. Il faut le dire et le redire : [...] présenter comme un “arc républicain”, ou comme une alliance entre “républicains des deux rives”, ce nouveau rapprochement rouge-brun qui voit les crânes rasés du Bloc identitaire fricoter, sur le dos des musulmans de France, avec tel ancien du Monde diplo, Bernard Cassen, est un crachat au visage [de la] République. »
Impatient, peut-être même frénétique à l’idée de fustiger une nouvelle fois Le Monde diplomatique, Bernard-Henri Lévy avait tiré trop vite. Et commis une erreur grossière d’identification. Tel ce singe de la fable de La Fontaine qui avait pris le port du Pirée pour un homme (1), notre intellectuel avait en effet confondu Bernard Cassen avec… Pierre Cassen, fondateur du site Riposte laïque, effectivement proche de l’extrême droite.
Mais il ne s’agissait que d’une « coquille », gémit BHL. Le tribunal lui répond de manière cinglante en lui reprochant un manque total de « sérieux » : « Il convient de considérer que l’évocation de Bernard Cassen, ancien journaliste et directeur général du mensuel Le Monde diplomatique [...] au lieu et place de Pierre Cassen relève davantage d’une insuffisance de rigueur et d’une carence de fond, que de la simple “coquille” invoquée en défense. »
Et la 17e chambre correctionnelle précise : « Pour l’ensemble de ces motifs, le bénéfice de la bonne foi ne saurait être accordé [à BHL] et, par voie de conséquence, Franz-Olivier Giesbert ne saurait en bénéficier. »
La sévérité de la justice — qui aligne dans ses attendus les appréciations peu flatteuses pour le directeur et pour le chroniqueur du Point : absence de sérieux, insuffisance de rigueur, carence de fond, manque de bonne foi... — s’explique assurément par la gravité de la faute commise par Franz-Olivier Giesbert et par BHL, son « complice ». Comme le note le tribunal : « L’alliance explicitement imputée à Bernard Cassen avec un groupe politique présenté comme véhiculant une idéologie gravement attentatoire aux valeurs républicaines et comme ayant tenté d’assassiner le chef de l’Etat le jour de la fête nationale de 2002, constitue un fait précis, dont la vérité est susceptible d’être prouvée, et qui porte atteinte à son honneur et à sa considération. »
Les deux prévenus, reconnus « auteur et complice du délit de diffamation publique envers un particulier », sont condamnés chacun à une amende de 1 000 euros « qui, pour Bernard-Henri Lévy — dont le casier judiciaire ne porte trace d’aucune condamnation, à la différence de Franz-Olivier Giesbert — sera assortie du sursis ».
Et la publication de cette décision devra paraître dans un prochain numéro du Point, « au pied du “bloc-notes” de Bernard-Henri Lévy [...] dans un encadré, et sous le titre écrit en caractères majuscules et gras de 0,4 cm de hauteur CONDAMNATION JUDICIAIRE . Les deux complices devront par ailleurs payer les frais d’insertion de la publication de la décision qui pourfend leur diffamation dans deux organes de presse choisies par le plaignant.
D’ores et déjà, Le Monde diplomatique se porte candidat à la publication dans ses colonnes de cette réjouissante décision de la justice française.
Lire l'article sur le site de: Le monde diplomatique (26/0/2013)